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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/180

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LIVRE HUITIÈME.


aurait-il été conduit puisqu’il n’avait encore rien vu de pareil ? Il ne pouvait pas non plus, après avoir emprunté à quelque autre l’idée des choses qu’il avait à produire, les exécuter comme le font les artisans qui se servent de leurs mains et de leurs instruments : car les mains et les pieds sont des choses créées. Reste donc que toutes choses soient dans une autre chose [c’est-à-dire dans la matière qui leur sert de sujet]. Or, comme l’Être était voisin de cette autre chose, puisque nul intervalle ne l’en séparait, il a engendré subitement une image, une représentation de lui-même, soit par lui-même, soit par l’intermédiaire de l’Âme universelle, soit par celui d’une âme particulière (car peu importe pour l’objet de notre discussion). Donc, tout ce qui est ici-bas vient de là-haut et est plus beau dans le monde supérieur : car les formes sont ici-bas mêlées à la matière ; là-haut, elles sont pures. Ainsi, cet univers qui procède du monde intelligible est contenu par les formes depuis le commencement jusqu’à la fin. La matière reçoit d’abord la forme des éléments, puis à ces formes viennent s’en ajouter d’autres, puis d’autres encore ; en sorte qu’il est difficile de découvrir la matière, cachée qu’elle est sous tant de formes. Comme elle a une espèce de forme qui tient le dernier rang, elle peut facilement recevoir toutes les formes. Quant au principe qui produit, ayant une forme pour modèle, il a produit aisément toutes les formes, parce qu’il est toute essence et toute forme ; aussi son œuvre a-t-elle été facile et universelle, parce qu’il était lui-même universel. Il n’a donc rencontré aucun obstacle, et il exerce encore une souveraineté absolue. S’il y a des choses qui se fassent obstacle les unes aux autres, elles ne font pas aujourd’hui même obstacle au Démiurge parce qu’il conserve son universalité. Aussi suis-je persuadé que si nous étions nous-mêmes tout à la fois les modèles, les formes et l’essence des choses, et que la forme qui produit ici-bas fût notre essence, nous réaliserions notre œuvre sans peine.