Aller au contenu

Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
LIVRE NEUVIÈME.


ce serait l’existence qu’ils posséderaient qui serait l’être. C’est seulement par participation que les choses sensibles sont ce qu’on dit qu’elles sont ; la nature qui constitue leur substance reçoit sa forme d’ailleurs, comme l’airain reçoit la sienne du statuaire, le bois, de l’artisan : tandis que l’image de l’art pénètre dans la matière, l’art lui-même reste dans son identité et possède en lui-même la véritable essence de la statue et du lit. Ainsi, cette nécessité générale où sont les corps de participer à des images montre qu’ils sont autres que les êtres : car ils changent, tandis que les êtres sont immuables, ont en eux-mêmes leur propre fondement, et n’ont pas besoin d’exister dans un lieu, puisqu’ils n’ont pas d’étendue, qu’ils subsistent d’une existence intellectuelle et absolue. Enfin, l’existence des corps[1] a besoin d’être conservée par un autre principe, tandis que l’Intelligence, qui fait subsister des objets périssables par eux-mêmes, n’a besoin de rien qui la fasse elle-même subsister.

VI. Ainsi, l’Intelligence est les êtres ; elle les renferme tous en elle, non d’une manière locale, mais de la manière dont elle se possède elle-même ; elle ne fait qu’un avec eux. Toutes les essences à la fois sont contenues en elle et y restent distinctes, comme une foule de connaissances peuvent se trouver dans l’âme sans que leur nombre cause aucune confusion : car chacune paraît lorsqu’il le faut, sans entraîner les autres avec elle. Si dans l’âme chaque

  1. Σωμάτων γὰρ φύσις σώζεσθαι παρ’ ἄλλου θέλει (Sômatôn gar phusis sôzesthai par’ allou thelei). Creuzer voit ici un jeu de mots dans le rapprochement de σωμάτων (sômatôn) et de σώζεσθαι (sôzesthai). Il cite à l’appui de son opinion ce passage de Platon : « Les disciples d’Orphée considèrent le mot σῶμα (sôma) comme relatif à la peine que l’âme subit durant son séjour dans le corps en expiation de ses fautes. Ainsi cette enceinte corporelle serait comme la prison où elle est gardée, σώζεται (sôzetai). Le corps est donc, comme son nom le porte, ce qui conserve l’âme jusqu’à ce qu’elle ait acquitté sa dette. » (Cratyle, trad. de M. Cousin, t. XI, p. 50.)