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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/330

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LIVRE TROISIÈME.

Pourquoi donc ne plaçons-nous pas aussi le beau au nombre des relatifs ? C’est que le beau est tel par lui-même, qu’il constitue une qualité, tandis que plus beau est un relatif : Cependant la chose qu’on appelle belle paraîtrait quelquefois laide si on la comparait à une autre, la beauté des hommes, par exemple, mise en regard de celle des dieux ; de là vient ce mot [d’Héraclite] : « Le plus beau des singes » serait laid si on le comparait à un animal d’une autre espèce[1]. « Quand on dit qu’une chose est belle, on la considère en elle-même ; on l’appellerait peut-être plus belle ou laide si on la comparait à une autre. De là il résulte que, dans le genre dont nous traitons, un objet est grand en lui-même, par la présence de la grandeur, mais non par rapport à un autre. Sans cela, nous serions obligés de nier qu’une chose soit belle, parce qu’il y en a une autre plus

    que de fait la population, dans Athènes, soit beaucoup plus nombreuse ; on dit qu’il y a beaucoup de monde dans une maison et qu’il y en a peu au théâtre, bien que dans ce dernier lieu il y en ait bien davantage… Du reste, qu’on les reconnaisse ou qu’on ne les reconnaisse pas pour quantités, on peut dire que grand et petit n’ont pas de contraires : car d’une chose qu’on ne peut pas saisir et prendre en soi, d’une chose qui se rapporte à une autre, comment pourrait-on dire qu’elle a des contraires ? Bien plus, si grand et petit sont contraires l’un à l’autre, il s’ensuivra qu’une seule et même chose pourra recevoir en même temps les contraires et que les choses seront contraires à elles-mêmes. En effet, une chose peut être à la fois petite et grande : petite, par rapport à tel objet ; grande, par rapport à tel autre objet ; de sorte qu’une seule et même chose peut être grande et petite au même moment, et qu’elle reçoit en même temps les contraires. Or il n’est rien au monde qui paraisse pouvoir admettre en même temps les contraires, etc. » (Aristote, Catégories, II, ch. vi ; trad. de M. Barthélemy Saint-Hilaire, p. 77.) L’opinion de Plotin lui-même est citée par Simplicius, Comment. des Catégories, fol. 38, b.

  1. Cette citation est empruntée à Platon, Ier Hippias, p. 289, éd. H. Étienne ; mais il y a dans Platon « à un homme », au lieu des mots : « à un animal d’une autre espèce. »