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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/470

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LIVRE SEPTIÈME.

à faire concevoir le sensible ? Donc la prévoyance qui a présidé soit à la création d’un animal, soit à celle du monde entier, ne saurait être le résultat du raisonnement[1].

Il n’y a en effet aucun raisonnement en Dieu. Si l’on attribue à Dieu le raisonnement λογισμός (logismos)), c’est pour faire comprendre qu’il a tout réglé comme un sage pourrait le faire en raisonnant sur les choses postérieures ; si l’on attribue à Dieu la prévision (προόρασις (proorasis)), c’est pour indiquer qu’il a tout disposé comme un sage pourrait le faire par la prévision qu’il aurait des choses postérieures[2]. En effet, pour ordonner les choses dont l’existence n’est pas antérieure à celle du raisonnement, le raisonnement est utile toutes les fois que la puissance supérieure au raisonnement [l’intelligence] n’a pas assez de force. La prévision est également nécessaire en ce cas, parce que celui qui en fait usage ne possède pas une puissance qui lui permette de s’en passer : car la prévision se propose de faire arriver telle chose au lieu de telle autre, et semble craindre que ce qu’elle désire ne s’accomplisse pas. Mais, pour l’être qui ne peut faire qu’une chose, la prévision est inutile, aussi bien que le raisonnement qui compare les contraires : car, dès qu’un des contraires est seul possible, pourquoi raisonner ? Comment le principe qui est unique, un, simple, aurait-il besoin de réfléchir qu’il faut faire telle chose pour que telle autre n’ait pas lieu, et jugerait-il que la seconde arriverait s’il ne faisait la première ? Comment se dirait-il que l’expérience a déjà démontré l’utilité de telle ou telle chose, et qu’il est bon de l’employer ? Si Dieu procédait ainsi, il aurait eu recours à la prévision, par conséquent au raisonnement. C’est dans cette hypothèse que nous avons dit plus haut[3] que

  1. Voy. Enn. III, liv. II, § 1 ; t. II, p. 21-22.
  2. Plotin détermine ici quel est, selon lui, le sens qu’ont les mots raisonnement et prévision que Platon emploie dans le Timée en décrivant la création de l’homme par le Démiurge.
  3. Voy. le commencement du § 1.