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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/521

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SIXIÈME ENNÉADE.

dans celui qui réprouve : car celui qui prend cette affection pour le bien reste vide ; il n’a rien qu’une affection qu’un autre peut ressentir également en présence du bien. Aussi, nul ne souhaite-t-il d’éprouver, sans posséder un bien, le plaisir qu’éprouve celui qui le possède[1], de se réjouir de la présence d’un fils, par exemple, quand ce fils n’est pas présent ; de même, celui qui aime à faire bonne chère ne regarde point comme un bien de croire manger quand il ne mange pas, celui qui recherche les plaisirs de l’amour ne considère pas non plus comme un bien de s’imaginer qu’il jouit de la présence de celle qu’il aime quand il n’en jouit pas, ou qu’il se livre aux œuvres de Vénus quand il ne s’y livre point.

XXVII. Que doit posséder chaque être pour avoir ce qui lui convient ? — Une forme, répondrons-nous. Il convient à la matière d’avoir une forme ; il convient également à l’âme d’avoir sa torme, qui est la vertu[2]. — Cette forme est-elle un bien pour un être par cela seul qu’elle lui est propre ? Le désir recherche-t-il ou non ce qui lui est propre ? — Non. Ce qui est le semblable d’un être lui est propre ; or, quoiqu’un être recherche et aime son semblable[3], en le possédant il ne possède pas encore le bien. — En admettant qu’une chose soit le bien d’un être, nous n’accorderons donc pas qu’elle lui soit propre ? — La détermination de ce qui est propre à un être appartient à l’être supérieur par rapport auquel cet être est en puissance[4]. Quand un être est en puissance par rapport à un autre, il en a besoin ; or l’être dont il a besoin parce que cet être lui est supérieur est par cela même son bien. La matière est de toutes les choses

  1. Cette pensée paraît empruntée à Platon : « Lorsqu’il s’agit du bien, les apparences ne satisfont personne, et l’on s’attache à y trouver quelque chose de réel sans se soucier de l’apparence. » (République, liv. VI ; trad. de M. Cousin, t. X, p. 49.)
  2. Voy. Enn. I, liv. II, § 2 ; t. I, p. 54.
  3. Plotin fait ici allusion au proverbe ὅμοιον ὁμοίῳ ἀεὶ πελάζει (homoion homoiô aei pelazei). Voy. Platon, Banquet, p. 195, éd. H. Étienne.
  4. Voy. sur ce point ci-dessus § 17, p. 439.