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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/537

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SIXIÈME ENNÉADE.

Or, c’est quand le nectar l’enivre[1] et lui ôte la raison que l’âme est transportée d’amour et qu’elle s’épanouit dans une félicité qui comble tous ses vœux. Mieux vaut pour elle alors s’abandonner à cette ivresse que de demeurer plus sage. Dans cet état, l’intelligence voit-elle successivement une chose, puis une autre ? Non : la parole, quand elle enseigne, énonce tout successivement ; mais c’est éternellement que l’intelligence possède la puissance de penser, aussi bien que la puissance de ne pas penser, c’est-à-dire de voir Dieu autrement que par la pensée. En le contemplant en effet, elle a reçu en elle-même des germes, elle les a sentis lorsqu’ils ont été produits et déposés en son sein ; quand elle les voit, on dit qu’elle pense ; mais quand elle voit Dieu, c’est par cette puissance supérieure en vertu de laquelle elle devait plus tard penser.

Quant à l’âme, elle ne voit Dieu qu’en confondant, en faisant évanouir en quelque sorte l’intelligence qui réside en elle ; ou plutôt, c’est son intelligence première qui voit ; mais la vision que celle-ci a de Dieu arrive jusqu’à l’âme, qui alors s’identifie à l’intelligence. C’est le Bien qui, détendant sur l’intelligence et sur l’âme et se mettant à leur portée, se répand sur elles et les fond ensemble ; placé au-dessus d’elles, il leur donne l’heureuse vision et l’ineffable sentiment de lui-même ; il les élève si haut qu’elles ne sont plus en aucun lieu, ni en quoi que ce soit (dans aucun des sens où l’on dit qu’une chose est dans une autre) : car lui-même n’est en rien ; le lieu intelligible est en Lui, mais Lui il n’est en nulle chose autre. Alors l’âme ne se meut plus, parce que Dieu n’est pas en mouvement ; à proprement parler, elle n’est plus âme, parce que Dieu ne vit pas, mais est au-dessus de la vie ; elle n’est pas non plus intelligence, parce que Dieu est au-dessus de l’intelligence : car il doit y avoir assimilation complète [entre l’âme et Dieu]. Enfin

  1. Voy. Enn. III, liv. V, § 9 ; t. II, p. 119.