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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/580

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LIVRE HUITIÈME.


drait être, et qu’il eût la faculté de changer sa nature : il ne désirerait pas devenir autre qu’il est, il ne trouverait rien en lui qui lui déplût, comme s’il avait été contraint d’être ce qu’il est : car, ce qu’il est, il l’a voulu de tout temps, il le veut encore. L’essence du Bien est véritablement sa volonté : il n’a point cédé à un attrait ni suivi sa propre nature, mais il s’est préféré lui-même, parce qu’il n’y avait aucune autre chose qu’il eût souhaité d’être[1]. Joignez à cela que les autres êtres ne trouvent pas impliquée dans leur propre essence la raison de se plaire à eux-mêmes, qu’il y en a même qui sont mécontents d’eux. Dans l’existence du Bien (ἐν τῇ τοῦ ἀγαθοῦ ὑποστάσει (en tê tou agathou hupostasei)), au contraire, est nécessairement contenu l’acte de se choisir et de se vouloir soi-même : sinon, il n’y aura rien dans l’univers qui puisse se plaire à soi-même, puisqu’on ne se plaît à soi-même qu’autant qu’on participe du bien, qu’on en possède une image en soi. Il faut avoir ici de l’indulgence pour notre langage : en parlant de Dieu, on est obligé, pour se faire comprendre, de se servir de mots qu’une rigoureuse exactitude ne permettrait pas d’employer. Avec chacun d’eux il faut sous-entendre : en quelque sorte (οἶον[2]).

Si donc le Bien subsiste, avec lui subsistent le choix et la volonté, parce qu’il ne saurait exister sans ces deux choses. Mais en Dieu le choix, l’essence, la volonté, ne forment pas une multiplicité ; nous devons considérer ces trois choses comme n’en faisant qu’une. Puisqu’il est l’auteur de la

  1. Il y a dans le texte : ἔστι γὰρ ὄντως ἡ ἀγαθοῦ φύσις θέλησις αὐτοῦ, οὐ δεδεϰασμένου, οὐδὲ τῇ ἑαυτοῦ φύσει ἐπισπωμένου (esti gar ontôs hê agathou phusis thelêsis autou, ou dedekasmenou, oude tê heautou phusei epispômenou). Ficin traduit inexactement δεδεϰασμένου (dedekasmenou) par les mots : « non ut portio quædam fuerit illi assignata. » Creuzer en rétablit le vrai sens en ces termes : « Vult igitur significare Plotinus Bonum illud summumque. Numen neque blandimentis quasi et corruptione, neque quadam velut vi naturæ suæ compulsum, sed sua ipsum libera electione id esse quod sit. »
  2. Plotin se sert très-souvent de ce terme. Voy. ci-dessus p. 508, note 2.