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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/591

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SIXIÈME ENNÉADE.

Dieu est étranger à tout hasard, que ce qu’il est est le convenable même. Or, s’il est le convenable, il ne l’est pas irrationnellement. S’il est l’opportun (ϰαιρός (kairos)), et s’il est à ce titre maître absolu (τὸ μάλιστα ϰυριώτατον (to malista kuriôtaton)) des êtres qui sont au-dessous de lui[1], à plus forte raison est-il opportun pour lui-même : il n’est donc point par hasard ce qu’il est, il est ce qu’il a voulu être : car il veut les choses convenables, et en lui le convenable et l’acte du convenable ne font qu’un. Il est le convenable, non comme étant sujet, mais comme étant acte premier, lequel s’est manifesté tel qu’il était convenable qu’il fût. C’est là ce que nous pouvons dire de Lui, dans l’impuissance où nous sommes de nous exprimer à son égard comme nous le voudrions[2].

XIX. Vous élevant à Lui à l’aide des considérations que nous venons d’exposer, saisissez-le donc : vous le contemplerez alors, et vous ne trouverez pas de termes pour exprimer sa grandeur. Quand vous le verrez, renonçant à faire usage de la parole, vous affirmerez qu’il existe par lui-même, de telle sorte que, s’il avait une essence, cette essence dépendrait de lui et serait par lui. Quiconque l’aura vu n’aura point l’audace de soutenir qu’il est par hasard ce qu’il est ; il ne proférera même pas un tel blasphème : car il resterait lui-même confondu de sa témérité. Lorsqu’il se sera élevé jusqu’à Lui, il ne pourra même dire de Lui où il est[3] : car il apparaît partout aux yeux de l’âme ; de quelque côté que celle-ci tourne ses regards, elle le voit, à moins que, considérant un autre objet, elle n’abandonne Dieu en cessant de penser à lui.

Les anciens ont dit, mais en termes énigmatiques, que

  1. Plotin dérive ici ϰύριος (kurios) de ϰαιρός (kairos). Il y a là un jeu de mots qu’il est impossible de rendre en français.
  2. Voy. Enn. III, liv. IX, fin ; t. II, p. 249-250.
  3. Il y a dans le texte : οὐδ’ἄν ἔχοι που εἰπεῖν περὶ αὐτοῦ (oud’an echoi pou eipein peri autou). Ficin traduit : « Non poterit ubi illud assignare, » et Creuzer : « Usquam quidquam de eo dicere. » Nous préférons le sens de Ficin parce qu’il se lie mieux à la phrase suivante.