Aller au contenu

Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/622

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
561
LIVRE NEUVIÈME.

meure-t-elle pas ? C’est qu’elle n’est pas encore tout à fait détachée des choses d’ici-bas. Mais un temps viendra où elle jouira sans interruption de la vue de Dieu : c’est quand elle ne sera plus troublée par les passions du corps[1]. La partie de l’âme qui voit Dieu n’est pas celle qui est troublée [l’âme irraisonnable], mais l’autre partie [l’âme raisonnable] ; or elle perd la vue de Dieu quand elle ne perd pas cette science qui consiste dans les démonstrations, dans les conjectures et les raisonnements. Dans la vision de Dieu, en effet, ce qui voit n’est pas la raison, mais quelque chose d’antérieur, de supérieur à la raison ; si ce qui voit est encore uni à la raison, c’est alors comme l’est ce qui est vu. Celui qui se voit, lorsqu’il voit, se verra tel, c’est-à-dire simple, sera uni à lui-même comme étant tel, enfin se sentira devenu tel. Et même il ne faut pas dire qu’il verra, mais qu’il sera ce qui est vu, si toutefois on peut encore distinguer ici ce qui voit et ce qui est vu, et affirmer que ces deux choses n’en font pas une seule ; mais cette assertion serait téméraire : car dans cet état, celui qui voit ne voit pas à proprement parler, ne distingue pas, ne s’imagine pas deux choses ; il devient tout autre, il cesse d’être lui, il ne conserve rien de lui-même. Absorbé en Dieu, il ne fait plus qu’un avec lui, comme un centre qui coïncide avec un autre centre : ceux-ci en effet ne font qu’un en tant qu’ils coïncident, et ils font deux en tant qu’ils sont distincts. C’est dans ce sens que nous disons ici que l’âme est autre que Dieu. Aussi ce mode de

  1. « Ô que le temps est incommode ! Que de besoins accablants le temps nous apporte ! Qui pourrait souffrir les distractions, les interruptions, les tristes nécessités du sommeil, de la nourriture, des autres besoins ? Mais celle des tentations, des mauvais désirs, qui n’en serait honteux autant qu’affligé ? Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Ô Dieu ! que le temps est long, qu’il est pesant, qu’il est assommant ! Ô Dieu éternel, tirez-moi du temps, fixez-moi dans votre éternité ! » (Bossuet, Élévations à Dieu.)