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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/173

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qu’il y avait de plus beau en tableaux et en statues, pour relever l’éclat de son triomphe, et en faire l’ornement de la ville. Jusqu’alors Rome ne possédait ni ne connaissait rien de ces somptuosités et de ces délicatesses ; on n’y voyait pas ces ornements gracieux, ces chefs-d’œuvre de l’art, ces séductions de bon goût. Remplie de dépouilles barbares et ensanglantées, elle se couronnait de trophées et des monuments de ses triomphes : spectacles sans agréments, toujours terribles, et qui n’étaient pas faits pour des yeux craintifs et délicats. Épaminondas appelait la Béotie l’orchestre de Mars ; Xénophon appelait Éphèse l’arsenal de la guerre ; on pourrait dire de Rome, suivant l’expression de Pindare[1] que c’était le temple du terrible dieu de la guerre. Aussi Marcellus était-il le favori du peuple : il avait paré Rome de merveilles qui respiraient les grâces grecques, et qui charmaient les yeux par la variété. Fabius Maximus avait pour lui le suffrage des vieillards : après avoir pris Tarente, il ne déplaça, il n’emporta aucun objet de cette espèce ; il enleva bien tous les trésors et toutes les richesses des habitants ; mais il laissa leurs statues, en disant ce mot depuis si célèbre : « Laissons aux Tarentins leurs dieux irrités. » On reprochait à Marcellus, d’avoir fait de Rome un objet de haine, en traînant triomphalement à travers ses rues, non-seulement des hommes captifs, mais des dieux même ; et ensuite d’avoir corrompu le peuple, accoutumé à faire la guerre et à labourer les champs, ignorant des délices et de la mollesse, et, comme l’Hercule d’Euripide,

Inhabile aux choses mauvaises, mais excellent pour les plus grandes entreprises[2],

  1. C’est à Syracuse que Pindare applique cette expression, au commencement de la deuxième pythique.
  2. Fragment de Lycimnius, tragédie perdue.