Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/240

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les porter à la frugalité. À mes yeux, toutefois, abuser de ses esclaves comme de bêtes de somme, les chasser ou les vendre quand ils sont devenus vieux, c’est témoigner une excessive dureté de cœur, c’est avoir l’air de croire que le besoin seul lie les hommes entre eux. Or, il est manifeste que la bonté s’étend beaucoup plus loin que la justice. C’est envers les hommes seulement que nous sommes tenus par la loi et la justice ; mais la bienveillance et la libéralité rejaillissent quelquefois jusque sur les animaux mêmes. L’humanité est en nous comme une source abondante qui s’épanche en bienfaits. Ainsi, nourrir ses chevaux épuisés par le travail, soigner ses chiens jusque dans leur vieillesse, c’est le propre d’un homme naturellement bon.

Le peuple d’Athènes, après avoir bâti l’Hécatompédon[1], lâcha toutes les mules qui avaient le mieux secondé par leur travail la construction de cet édifice, et les laissa paître en liberté. Une d’elles vint, dit-on, un jour se présenter d’elle-même à la besogne ; elle se mit à la tête des bêtes de somme qui traînaient des chariots à la citadelle ; elle marchait devant elles, les exhortant, pour ainsi dire, et les animant à l’ouvrage. Les Athéniens ordonnèrent, par un décret, que cet animal serait nourri jusqu’à sa mort aux dépens du public. Il y a, près du tombeau de Cimon, la sépulture des cavales avec lesquelles il avait remporté trois fois le prix aux jeux olympiques. Plusieurs Athéniens ont fait enterrer des chiens élevés dans leurs maisons et qui avaient vécu avec eux. Lorsque le peuple quitta la ville pour se retirer à Salamine, le chien de Xanthippe l’ancien suivit à la nage la trirème de son maître, et expira en arrivant : Xanthippe le fit enterrer sur le promontoire qu’on ap-

  1. Autrement Parthénon, temple de Minerve. Voyez la Vie de Périclès dans le premier volume.