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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/153

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NICIAS.

gémissements et des cris de douleur, comme s’ils eussent quitté leur pays et non une terre ennemie : c’est qu’ils manquaient de tout ; c’est qu’ils abandonnaient leurs amis, leurs parents incapables de les suivre ; c’est que leurs maux présents, ils les croyaient plus légers que ceux qu’ils s’attendaient à souffrir encore.

C’était un bien triste spectacle que celui de cette armée ; mais ce qu’il y avait de plus digne de pitié, c’était de voir Nicias affligé par la maladie, indignement réduit à la privation des choses les plus nécessaires, alors que son état de santé lui créait tant de besoins. Malgré sa faiblesse il faisait et supportait ce qui était tolérable à peine pour beaucoup des plus valides. On voyait bien que ce n’était point pour lui-même, ni par amour de la vie qu’il persistait à endurer tant de peines, mais dans l’intérêt de tous, et parce qu’il n’avait pas encore perdu l’espoir. Lorsque les autres pleuraient et se lamentaient de crainte et de chagrin, lui, s’il ne pouvait retenir ses larmes, on sentait bien que c’était à cause de la honte et du déshonneur de cette expédition, comparés à la grandeur et à la gloire des succès qu’il en avait espérés. Mais ce n’était pas tout de le voir ; on se rappelait encore les discours, les harangues pressantes qu’il avait prononcées pour empêcher le départ de la flotte, et l’on croyait ses malheurs encore moins mérités. Et l’on tombait dans un découragement plus profond, et l’on désespérait même du secours de la divinité, quand on faisait la réflexion qu’un homme qui avait toujours aimé les dieux, qui leur avait offert des sacrifices si nombreux, si magnifiques, n’était pas traité par eux avec plus de douceur que le plus vil soldat et le plus méchant de toute l’armée.

Cependant par le ton de sa voix, la sérénité de son visage, son affabilité, Nicias s’efforçait de paraître supérieur à ses maux. Dans sa marche, pendant huit jours, harcelé, blessé par l’ennemi, il ne laissa pas entamer les