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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/166

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te donne pour escorte, répondit Sylla avec colère, et d’un ton d’emportement, ton père, ton frère, tes amis, tes proches, égorgés contre toutes les lois, contre toute justice, et dont je poursuis par tous mes actes les meurtriers. » Crassus, ému et enflammé par ces paroles, partit sans hésiter, s’avança intrépidement à travers une population ennemie, et rassembla une armée nombreuse ; et depuis lors il se montra rempli de zèle dans les affaires de Sylla.

C’est à partir de ces événements que commença, dit-on, sa rivalité de gloire et sa jalousie contre Pompée. Pompée, plus jeune que Crassus, et né d’un père décrié dans Rome et qui avait été l’objet de la plus violente haine des citoyens, se couvrit de tant d’éclat dans ces circonstances, il devint si grand, que Sylla faisait pour lui ce qu’il ne faisait guère pour de plus âgés, ses égaux en honneur : quand Pompée venait à lui, il se levait pour le recevoir, se découvrait la tête, et il lui donnait le titre d’imperator[1] C’était pour Crassus un sujet de dépit qui le dévorait ; et pourtant il lui était réellement inférieur en mérite, et d’ailleurs il perdait tout le mérite de ses belles actions par les deux maladies innées en lui, l’amour du lucre et la sordide avarice.

Ainsi, il paraît que s’étant emparé de la ville de Tudertia[2] en Ombrie, il détourna à son profit la plus grande partie du butin, et qu’il en fut accusé auprès de Sylla. Mais, dans l’affaire qui eut lieu aux portes de Rome, et qui fut la plus grande et la dernière des batailles de cette guerre, Sylla fut vaincu, le corps qu’il commandait ayant été mis en déroute avec une perte assez considé-

  1. Ce titre ne se donnait ordinairement qu’aux généraux qui commandaient en chef et qui avaient remporté quelque grande victoire : c’étaient les soldats qui le décernaient.
  2. On pense que c’est la ville que les Latins nommaient Tuder.