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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/191

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« Ô le plus pervers des hommes ! lui disait-il, quel mauvais génie t’a conduit vers nous ? par quels breuvages empoisonnés, par quels maléfices as-tu persuadé à Crassus de plonger son armée dans un désert sans bornes et sans fond, et de la faire marcher sous la conduite d’un chef de brigands nomades plutôt que sous les ordres d’un général des Romains ? » Et l’artificieux Barbare tombait à ses genoux, le rassurait, et l’invitait à avoir patience encore quelque temps. Quant aux soldats, il se mêlait à eux, courait le long de leurs files, et il leur lançait en riant ces plaisanteries : « Hé ! vous autres ! vous croyez donc voyager à travers la Campanie, pour désirer ainsi des fontaines, des bocages, de l’ombre, et des bains aussi, sans doute, et des hôtelleries ? Vous oubliez donc que vous traversez les frontières des Arabes et des Assyriens ? » C’est ainsi que le Barbare tachait de calmer les Romains. Avant que sa trahison devînt manifeste, il monta à cheval et partit, non pas à l’insu de Crassus, mais après lui avoir persuadé qu’il s’en allait travailler à jeter le trouble chez les ennemis.

On rapporte que ce jour-là Crassus sortit de sa tente, vêtu non de la pourpre, comme c’est la coutume des généraux romains, mais d’habits noirs : il est vrai qu’il en changea aussitôt qu’il s’en aperçut. Plusieurs des enseignes restaient comme fixées en terre ; et ceux qui les portaient eurent beaucoup de peine à les enlever. Crassus n’en fit que rire, et il pressa la marche en forçant l’infanterie de suivre la cavalerie. Tout à coup un petit nombre des hommes qu’on avait envoyés à la découverte accoururent, et rapportèrent que les autres avaient été tués par l’ennemi, qu’ils avaient eux-mêmes eu bien de la peine à échapper, et que l’ennemi venait les attaquer, nombreux et plein de confiance. L’alarme fut générale ; et Crassus, frappé de cette nouvelle et hors de lui, rangea son armée à la hâte, sans se donner le temps de se re-