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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/237

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mèrent à haute voix le véritable général, non-seulement les soldats tournèrent les yeux vers Eumène, mais ceux-là même qui, pendant la paix, et au sein d’une vie voluptueuse, avaient brigué des honneurs, se soumirent tous à lui, et s’offrirent en silence à prendre le poste qui leur serait assigné. Car, Antigonus ayant tenté de passer le fleuve Pasitigre[1], aucun de ceux qui occupaient les divers postes ne s’en était aperçu : Eumène seul l’avait arrêté, lui avait livré bataille, avait rempli de morts le lit du fleuve, et fait quatre mille prisonniers.

Ce fut surtout durant une maladie d’Eumène, que les Macédoniens firent bien voir qu’à leurs yeux les autres capitaines n’étaient bons qu’à ordonner des festins et des fêtes, et Eumène seul capable de commander et de faire la guerre. Peucestas leur avait donné en Perse un banquet magnifique ; il avait distribué à chaque soldat un mouton pour le sacrifice ; aussi croyait-il avoir acquis auprès d’eux le plus haut crédit. Mais, peu de jours après, comme les soldats marchaient à l’ennemi, Eumène, attaqué d’une maladie grave et travaillé d’insomnie, se faisait porter dans une litière, à quelque distance de l’armée, pour se préserver du bruit. Quand ils furent un peu avancés, ils découvrirent tout à coup les ennemis, qui, ayant franchi quelques hauteurs, descendaient dans la plaine. Dès que brilla du sommet des collines la lueur étincelante des armes dorées, frappées des rayons du soleil ; dès qu’ils aperçurent la belle ordonnance des bataillons, les éléphants chargés de tours, et les cottes d’armes de pourpre, ornement accoutumé de la cavalerie quand elle marchait au combat, alors les premiers rangs suspendirent la marche, demandant à

  1. On donnait le nom de Pasitigre au Tigre, dans la partie inférieure de son cours, après qu’il s’est grossi de plusieurs rivières considérables.