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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/40

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LUCULLUS.

difficile à gouverner qu’un homme à qui tout prospère ; rien, au contraire, ne se laisse plus aisément conduire que celui qui a été maltraité par la fortune. Aussi les Cyrénéens se soumirent-ils sans murmure aux lois que Lucullus voulut leur prescrire.

De Cyrène, il fit voile pour l’Égypte, et dans son passage il perdit la plupart des navires qu’il avait déjà ramassés, qui lui furent enlevés par des pirates. Il parvint à leur échapper, et entra dans Alexandrie avec un magnifique cortège. Car toute la flotte royale était sortie à sa rencontre dans le plus brillant appareil, comme elle a coutume d’aller au-devant du roi, lorsqu’il revient de voyage. Le jeune Ptolémée[1] lui fit l’accueil le plus distingué : il lui donna sa table et un appartement dans son palais : honneur qu’on n’avait jamais fait encore à aucun général étranger. Ptolémée ne régla point la dépense sur le pied où elle était fixée pour les autres ; il la porta pour lui au quadruple. Mais Lucullus ne prit que ce qui lui était absolument nécessaire ; il refusa même tous les présents que lui avait envoyés le roi, et qui valaient plus de quatre-vingts talents[2]. On dit aussi qu’il ne voulut ni aller à Memphis, ni visiter aucune des merveilles tant vantées de l’Égypte : c’était l’affaire, selon lui, d’un homme oisif et voyageant pour son plaisir, et non d’un capitaine qui avait laissé son général en plein champ, sous des tentes, et au pied des retranchements ennemis. Ptolémée refusa de faire alliance avec Sylla, de peur de s’attirer la guerre ; mais il donna à Lucullus des vaisseaux d’escorte pour l’accompagner jusqu’en Cypre.

Quand il fut sur le point de s’embarquer, le roi le combla de prévenances, et lui offrit, en lui faisant les derniers adieux, une émeraude de grand prix, montée en

  1. On ne sait pas quel était précisément ce Ptolémée.
  2. 480,000 fr. environ de notre monnaie.