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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/438

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Pompée n’a pas plutôt vu César, avec cinq mille trois cents hommes seulement, maître d’une ville d’Italie, que la frayeur le fait sortir de Rome. Soit qu’il ait fui honteusement devant une poignée de soldats, ou qu’il s’en soit exagéré le nombre, il emmène ses enfants et sa femme, et laisse les familles des autres citoyens privées de toute défense ; tandis qu’il devait ou vaincre en combattant pour sa patrie, ou recevoir la loi du vainqueur, qui était son concitoyen et son allié. Mais non : lui qui trouvait trop dur de prolonger le commandement de César, et de lui accorder un consulat, il donne à César, maître de Rome, le droit de dire à Métellus qu’il le tient prisonnier de guerre, lui et tous les autres Romains.

Le premier talent d’un général d’armée, c’est de savoir forcer les ennemis à combattre quand il est le plus fort, et, quand il est le plus faible, de ne s’y point laisser forcer. Agésilas le sut faire, et se conserva toujours invincible. César ne se commit jamais contre Pompée avec des forces inférieures ; mais il profita habilement de ses avantages : il contraignit Pompée à mettre toute sa fortune au hasard d’un combat de terre, et se rendit maître en un instant de tout l’argent de son ennemi, de ses provisions, et de la mer, dont Pompée eut conservé l’empire s’il eût évité le combat. La meilleure raison qu’on ait alléguée pour justifier un si grand général est précisément la plus grave accusation portée contre lui. Qu’un jeune chef d’année, troublé par des plaintes et des clameurs, et qui s’entend reprocher sa mollesse et sa lâcheté, se laisse entraîner hors des résolutions les plus sages et les plus sûres, cette faiblesse est naturelle et pardonnable. Mais le grand Pompée, dont les Romains appelaient le camp leur patrie, et la tente leur Sénat, traitant de déserteurs et de traîtres les préteurs et les consuls qui étaient restés à Rome ; ce Pompée qu’on n’avait jamais vu sous la loi d’un autre, et qui n’avait