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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/478

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de vastes monceaux de sable, fit de toute cette plaine comme une mer orageuse, et engloutit, dit-on, et détruisit en un instant, cinquante mille hommes. Il n’y avait presque personne qui ne s’inquiétât à cette idée ; mais il n’était pas facile de détourner Alexandre, une fois qu’il était résolu d’agir. La Fortune, en cédant partout à ses efforts, le rendait ferme dans ses desseins ; et son courage lui donnait, dans toutes ses entreprises, cette obstination invincible, qui force non-seulement les ennemis, mais les lieux et les temps mêmes.

Les secours que le dieu lui apporta dans ce voyage, pour surmonter les difficultés du chemin, trouvèrent plus de créance que les oracles qu’il lui donna depuis ; ou plutôt ces secours firent ajouter foi aux oracles Jupiter fit d’abord tomber des pluies abondantes, qui dissipèrent la crainte de la soif, et qui, tempérant la sécheresse brûlante du sable, que l’eau affaissa en le pénétrant, rendirent l’air plus pur et plus facile à respirer. En second lieu, comme les bornes qui servaient d’indices aux guides étaient confondues, et que les soldats d’Alexandre, errant de tous côtés, se séparaient les uns des autres, il parut tout à coup une troupe de corbeaux, qui vinrent se mettre en tête de la marche, et leur montrer le chemin ; précédant l’armée quand on s’avançait, attendant lorsqu’on s’arrêtait, et qu’on ralentissait le pas. Et le comble du prodige, c’est que la nuit, au rapport de Callisthène, ils rappelaient par leurs cris ceux qui s’égaraient, et les remettaient sur la route[1].

Quand il eut traversé le désert, et qu’il fut arrivé à la ville où était le temple, le prophète d’Ammon le salua

  1. Strabon dit que ces pluies abondantes et ces corbeaux indicateurs sont des inventions de Callisthène ; encore Callisthène du moins n’avait-il parlé que de deux corbeaux, au lieu de cette troupe que supposèrent d’autres historiens amis du merveilleux, et dont Plutarque a admis le témoignage.