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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/480

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un jour, en écrivant aux Athéniens, au sujet de Samos : « Ce n’est pas moi, leur disait-il, qui vous ai donné cette ville libre et célèbre ; vous la tenez de celui qu’on appelait alors mon seigneur et mon père. » C’était Philippe qu’il désignait par ces mots. Mais, une autre fois, ayant été blessé d’une flèche, et souffrant une cuisante douleur : « Mes amis, dit-il, ce qui coule là c’est du sang, et non de cette liqueur subtile

Qui coule des blessures des dieux immortels[1] »

Un jour il faisait un tonnerre affreux, et tout le monde était frappé d’épouvante : « Fils de Jupiter, dit le sophiste Anaxarchus, qui était là présent, n’est-ce pas toi qui causes tout ce bruit ? — Non, répondit Alexandre ; je ne cherche pas à me faire craindre de mes amis, comme tu le voudrais, toi qui méprises mon souper, parce qu’on sert à ma table des poissons et non pas des têtes de satrapes. » On dit, en effet, que le roi ayant envoyé quelques petits poissons à Héphestion, Anaxarchus avait tenu le propos qu’Alexandre lui reprochait : c’était une manière de témoigner son mépris pour ceux qui poursuivent les grandes fortunes à travers mille peines et mille dangers, et de montrer, par une piquante ironie, qu’ils n’ont rien, malgré tous leurs plaisirs et toutes leurs jouissances, ou presque rien au-dessus des autres mortels.

On voit assez, par les différents traits que nous venons de rapporter, qu’Alexandre était loin de s’abuser lui-même, et de s’enfler de sa prétendue divinité : il se servait seulement de l’opinion que les autres en avaient, pour les assujettir.

À son retour d’Égypte en Phénicie, il fit des sacrifices et des pompes solennelles en l’honneur des dieux ; il

  1. Iliade, V, 340. Homère donne à cette liqueur subtile le nom d’ichor.