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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/483

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elle a même été honorée des larmes de ses ennemis ; car Alexandre est aussi généreux après la victoire que vaillant dans les combats. »

Ces paroles portèrent le trouble dans l’esprit de Darius, et la douleur entraîna son âme à d’étranges soupçons ; il emmena l’eunuque dans le lieu le plus retiré de sa tente : « Si tes affections ne sont point aux Macédoniens, dit-il, comme déjà celles de la fortune des Perses ; si Darius est encore ton maître, dis-moi, par le respect que tu dois à la grande lumière de Mithrès[1] et à cette main royale, la mort de Statira n’est-elle pas le moindre des malheurs que j’aie à pleurer ; n’en avons-nous pas souffert, elle vivante, de plus déplorables ; et n’eussions-nous pas été malheureux avec plus d’honneur, si nous avions eu affaire à un ennemi cruel et farouche ? Quelle liaison honnête eût pu porter un jeune guerrier à rendre de si grands honneurs à la femme de son ennemi  ? » Comme il parlait encore, Tiréus se précipite à ses pieds, et le conjure de tenir un autre langage : « Ne fais pas, dit-il, une telle injustice à Alexandre ; ne déshonore pas, après sa mort, ta femme et ta sœur ; ne t’enlève pas à toi-même la plus grande consolation que t’offre ton infortune, l’assurance d’avoir été vaincu par un homme supérieur à la nature humaine, et qui mérite toute ton admiration, pour avoir donné aux femmes des Perses plus de preuves de sa continence qu’il n’en avait donné aux Perses de sa valeur. » L’eunuque confirma son discours par les plus affreux serments, et cita plusieurs autres traits de la tempérance d’Alexandre et de sa grandeur d’âme. Darius revint près de ses amis, et, les mains levées au ciel, il fit aux dieux cette prière : « Dieux qui présidez à la naissance des hommes et à la destinée des empires, accordez-moi la grâce de transmettre à

  1. C’était le nom que les Perses donnaient au soleil.