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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/529

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ture de cette mer et des côtes adjacentes ; ensuite, ayant prié les dieux qu’aucun mortel, après lui, ne franchît les bornes de son voyage, il revint sur ses pas. Il fit prendre à ses vaisseaux la route le long des côtes, en laissant l’Inde à leur droite ; il nomma Néarque commandant de la flotte, et Onésicritus chef des pilotes[1]. Pour lui, il traversa par terre le pays des Orites ; et il s’y trouva réduit à une si extrême disette, qu’il perdit beaucoup de monde, et ne ramena pas de l’Inde la quatrième partie de son armée, laquelle, à son départ, était de cent vingt mille hommes de pied et de quinze mille chevaux. Des maladies aiguës, une mauvaise nourriture, des chaleurs excessives, firent parmi eux un grand ravage, et surtout la famine, dans cette contrée stérile et inculte, habitée par des hommes qui menaient une vie dure, et qui ne possédaient que quelques brebis chétives, habituées à se nourrir de poissons de mer, et dont la chair était mauvaise et puante. Il eut beaucoup de peine à faire cette route en soixante jours, et arriva enfin dans la Gédrosie, où les rois et les satrapes du voisinage lui envoyèrent en abondance toutes sortes de provisions.

Il fit rafraîchir quelque temps son armée, puis il se remit en marche, et traversa en sept jours la Caramanie, dans une espèce de bacchanale continuelle. Porté sur une estrade de forme carrée, qu’on avait placée sur un chariot fort élevé et traîné par huit chevaux, il passait le jour et la nuit en festins. Une foule de chariots s’avançaient à la suite, les uns couverts de tapis de pourpre ou d’étoffes de diverses couleurs, les autres ombragés de rameaux verts qu’on renouvelait à tous moments, et qui portaient le reste de ses amis et de ses capitaines, couronnés de fleurs, et passant le temps à boire. Vous n’eussiez vu, dans ce cortège, ni bouclier, ni cas-

  1. C’était le titre que portait le pilote du vaisseau du roi.