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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/579

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frappé tout à coup des réflexions que lui inspirait l’approche du danger, et tout troublé de la grandeur et de l’audace de son entreprise : fixé longtemps à la même place, il pesa, dans un profond silence, les différentes résolutions qui s’offraient à son esprit, balança tour à tour les partis contraires, et changea plusieurs fois d’avis. Il conféra longtemps avec ceux de ses amis qui l’accompagnaient, et parmi lesquels était Asinius Pollion. Il se représenta tous les maux dont le passage du Rubicon allait être le premier signal, et le jugement qu’on porterait de cette action dans la postérité. Enfin la passion l’emporta. Il repousse les conseils de la raison ; il se précipite aveuglément dans l’avenir, et prononce le mot qui est le prélude ordinaire des entreprises difficiles et hasardeuses : « Le dé en est jeté ! » Il traverse aussitôt la rivière, et fait une telle diligence, qu’il arrive à Ariminum avant le jour, et s’empare de la ville. La nuit qui précéda le passage du Rubicon, il eut, dit-on, un songe sinistre : il lui sembla qu’il avait avec sa mère un commerce incestueux.

La prise d’Ariminum lâcha la guerre, pour ainsi dire à larges portes, et sur la terre et sur la mer ; et César, en franchissant les limites de son gouvernement, parut avoir transgressé toutes les lois de Rome. Ce n’étaient pas seulement, comme dans les autres guerres, des hommes et des femmes qu’on voyait courir éperdus à travers l’Italie ; on eut dit que les villes elles-mêmes se levaient de leur place pour prendre la fuite, et se transportaient d’un lieu dans un autre. Rome se trouva comme inondée d’un déluge de peuples qui s’y réfugiaient de tous les environs ; et, dans cette agitation, dans cette tempête violente, il n’était plus possible à aucun magistrat de la contenir par la raison ni par l’autorité : peu s’en fallut qu’elle ne se détruisit par ses propres mains. Ce n’étaient partout que passions contraires et mouvements convul-