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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/620

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PHOCION

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(De l’an 400 environ à l’an 317 avant J.-C.)

L’orateur Démade jouissait dans Athènes d’un grand crédit, parce que, dans l’administration des affaires publiques, il ne cherchait qu’à plaire à Antipater et aux Macédoniens. Mais, obligé qu’il était de conseiller et de prendre des résolutions qui blessaient et la dignité et les coutumes de la ville, il disait, pour excuser sa conduite, qu’il gouvernait les débris du naufrage de la république. Cette parole, arrogante dans la bouche de Démade, pourrait être vraie en l’appliquant au gouvernement de Phocion ; car Démade était lui-même une des causes du naufrage de la république, lui qui vivait et gouvernai ! avec une dissolution telle, qu’Antipater disait de lui, quand il fut devenu vieux, qu’il ne lui restait plus que la langue et le ventre[1], ainsi qu’à une victime immolée ; tandis que la vertu de Phocion, laquelle eut à lutter contre un temps orageux, le plus terrible des adversaires, se vit condamnée à l’obscurité, par un effet des calamités de la Grèce, et privée de la gloire et de l’éclat qu’elle méritait. Aussi ne faut-il pas en croire Sophocle, lorsque, supposant la vertu trop faible, il dit[2] :

Mais ceux-là même, ô roi, qui étaient le plus sensés, ne conservent point
Leur liberté d’esprit dans l’infortune ; et leur raison s’égare.

  1. C’est à-dire qu’il n’avait plus qu’un vain babil, et ne pensait plus qu’à satisfaire sa sensualité.
  2. Antigone, vers 573.