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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/729

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de ses offres ; et Caton ne dissimula pas le regret qu’il avait de lui avoir cédé le commandement de l’armée ; car il voyait que Scipion conduirait mal la guerre, et que, quand même, contre toute apparence, il resterait vainqueur, il n’userait pas de la victoire avec modération envers ses concitoyens. Aussi était-il convaincu, et il l’avoua à ses amis, que l’inexpérience et la présomption des chefs ne laissaient plus rien à espérer de bon de cette guerre. « Mais, disait-il, si, par un bonheur inespéré, César est vaincu, je quitterai Rome, je fuirai la cruauté et l’inhumanité de Scipion, qui profère déjà contre plusieurs d’atroces et insolentes menaces. » Ce que Caton avait prévu se vérifia plus tôt qu’il ne l’attendait ; car il arriva, à la nuit tombante, un courrier qui était venu du camp, en trois jours, et qui apportait la nouvelle qu’un grand combat s’était livré près de Thapsus[1], et que les affaires étaient perdues sans ressource. César, après une victoire signalée, s’était rendu maître des deux camps ; Scipion et Juba avaient pris la fuite avec un petit nombre des leurs, et le reste de l’armée avait été taillé en pièces.

La nouvelle de ce désastre, apportée dans la ville pendant la nuit et en temps de guerre, jeta, comme on peut croire, le trouble dans tous les esprits : les habitants, effrayés, eurent peine à se contenir dans leurs murailles. Mais Caton, s’étant présenté à eux, arrêta ceux qu’il rencontra sur son chemin, et qui couraient de tous côtés en poussant de grands cris ; il les consola de son mieux, et, s’il ne calma pas leur frayeur, il fit cesser du moins l’étonnement et le trouble, en leur représentant que la défaite n’était peut-être pas aussi grande qu’on le disait, et que presque toujours on exagère les mauvaises nou-

  1. Sur la côte d’Afrique, à droite en descendant de Carthage ; elle est presque en face de l’île de Malte.