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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/740

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trer ni empressement ni impatience, et comme s’il voulait seulement savoir ce qu’était devenue son épée, il commanda qu’on la lui apportât. Il s’écoula assez de temps pour qu’il eût achevé sa lecture ; et l’on n’apportait point l’épée. Il appela donc ses esclaves l’un après l’autre, et la leur demanda d’un ton de voix plus haut encore : il donna même à l’un d’eux un tel coup de poing sur le visage, que sa main en fut tout ensanglantée ; et il criait avec emportement que son fils et ses esclaves le voulaient livrer entre les mains de son ennemi.

Son fils, tout en pleurs, entre avec ses amis, et se jette à son cou, déplorant son malheur, et le priant de conserver sa vie. Alors Caton se lève sur son séant ; et, tournant sur lui un regard sévère : « Quand, dit-il, et en quel lieu ai-je donné, sans m’en apercevoir, des preuves de folie ? Pourquoi, si j’ai pris un mauvais parti, personne ne cherche-t-il à m’éclairer et à me détromper ? Pourquoi m’empêcher de suivre ma résolution, et m’enlever mes armes ? Que ne fais-tu attacher ton père, ô généreux fils ! que ne lui fais-tu lier les mains derrière le dos, jusqu’à ce que César arrive, et me trouve hors d’état de me défendre ? Car je n’ai pas besoin d’une épée pour m’ôter la vie : il me suffit, pour me donner la mort, de suspendre quelque temps ma respiration, ou de me heurter une seule fois la tête contre la muraille. » À ces paroles, le jeune homme sortit de la chambre en versant des torrents de larmes ; et les autres sortirent avec lui. Démétrius et Apollonidès restèrent seuls auprès de Caton, qui, prenant un ton plus radouci : « Et vous, leur dit-il, prétendez-vous aussi retenir par force dans la vie un homme de mon âge ? et resterez-vous auprès de moi pour me garder en silence ? Ou êtes-vous venus m’apporter quelques beaux raisonnements pour prouver que, Caton n’ayant pas d’autre moyen de sauver sa vie,