Page:Poe - Contes inédits traduction William L. Hughes, Hetzel.djvu/33

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saient, comme dans un rêve bizarre, des bosquets d’arbustes fantastiques, aux longues et sveltes tiges, qui, au lieu de croître tout droit, s’inclinaient avec des courbes gracieuses vers la lumière qui se glissait à midi jusqu’au centre de la vallée. Leur écorce, éclatante mosaïque, brillait de la splendeur alternée de l’ébène et de l’argent ; rien au monde n’était plus lisse, sauf la joue d’Éléonore ; — si bien que sans les brillantes lignes de verdure des vastes feuilles, qui tremblaient au gré des zéphyrs, on aurait pu les prendre pour d’énormes serpents de Syrie, rendant hommage à leur souverain, le Soleil.

Éléonore et moi, nous nous promenâmes quinze ans dans cette vallée, sa main dans la mienne, avant que l’amour pénétrât dans nos cœurs. Une après-midi, — elle avait quinze ans, j’en avais vingt, — nous nous trouvâmes assis, enchaînés dans les bras l’un de l’autre, à l’ombre de ces arbres pareils à des serpents, contemplant notre image dans les eaux de la rivière du Silence qui coulait au-dessous. Nous ne prononçâmes pas un mot pendant le reste de cette journée ; et même le lendemain, nos paroles furent peu nombreuses et nos lèvres tremblèrent en les prononçant. Nous avions tiré le dieu Éros du fond de cette onde, et nous sentions qu’il venait d’allumer en nous l’ar-