Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/290

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ceptions étaient purement sensuelles. Quant aux matériaux fournis par les sens au cerveau passif, l’intelligence morte, inhabile à les mettre en œuvre, ne leur donnait aucune forme. Il entrait dans tout cela un peu de douleur et beaucoup de volupté ; mais de peine ou de plaisir moraux, pas l’ombre. Ainsi, tes sanglots impétueux flottaient dans mon oreille avec toutes leurs plaintives cadences, et ils étaient appréciés par elle dans toutes leurs variations de ton mélancolique ; mais c’étaient de suaves notes musicales et rien de plus ; ils n’apportaient à la raison éteinte aucune notion des douleurs qui leur donnaient naissance, pendant que la large et incessante pluie de larmes qui tombait sur ma face, et qui pour tous les assistants témoignait d’un cœur brisé, pénétrait simplement d’extase chaque fibre de mon être. Et, en vérité, c’était bien là la Mort, dont les témoins parlaient à voix basse et révérencieusement, — et toi, ma douce Una, d’une voix convulsive, pleine de sanglots et de cris.

On m’habilla pour la bière : trois ou quatre figures sombres qui voletaient çà et là d’une manière affairée. Quand elles traversaient la ligne directe de ma vision, elles m’affectaient comme formes ; mais, quand elles passaient à mon côté, leurs images se traduisaient dans mon cerveau en cris, gémissements, et autres expressions lugubres de terreur, d’horreur ou de souffrance. Toi seule, avec ta robe blanche, ondoyante, dans quelque direction que ce fût, tu t’agitais toujours musicalement autour de moi.

Le jour baissait ; et, comme la lumière allait s’évanouissant, je fus pris d’un vague malaise, — d’une anxiété semblable à celle d’un homme qui dort quand des sons réels et tristes tombent incessamment dans son oreille, — des sons de cloche lointains, solennels, à des intervalles lointains mais égaux, et se mariant à des rêves mélancoliques. La nuit vint, et avec ses ombres une lourde désolation. Elle oppressait mes organes