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Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 4, 1927.djvu/161

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croyait de son devoir de ne pas abandonner le mandat dont il est investi.

Je me rabats alors sur M. Delcassé. Il est au lit, souffrant de furonculose. Mon secrétaire général civil, M. Adolphe Pichon, se rend chez lui, pour tâcher de vérifier si, dans cette maladie, la nature a plus de part que la diplomatie. Mais il n’arrive pas à être reçu. Je prie M. Clementel de faire, à son tour, le possible pour forcer la porte. Il ne réussit à voir que Mme Delcassé. Il renouvellera sa tentative demain.

Me voilà donc de nouveau en pleines ténèbres, devant une Chambre dont j’ignore les véritables dispositions et au milieu d’intrigues que je ne parviens pas à démêler. Une visite importante me procure une brève et agréable diversion. L’ancien Président de la République des États-Unis, M. Theodor Roosevelt, de passage à Paris, vient s’entretenir avec moi. Je le trouve tel que je l’ai vu à la Sorbonne il y a quelques années, rude, énergique, le cou large, la mâchoire forte, l’œil un peu dur sous le verre du lorgnon, la moustache courte et drue. Il me parle de son pays avec une fierté qui craint d’être indiscrète ; mais il me parle aussi de la France avec une ignorance qui me va au cœur et il m’apprend sans rire qu’il y a à Paris, dans les milieux politiques, un courant révisionniste qui les pousse à une constitution américaine et à des pouvoirs présidentiels plus étendus. Il exprime l’espoir que je serai l’agent de cette prochaine révolution légale. Après m’être assuré qu’il ne plaisante pas, j’extirpe de son esprit la folle idée qui y a germé.

Le dimanche 7 juin, M. Clementel, qui a enfin pénétré jusqu’au chevet de M. Delcassé, me dit