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Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 4, 1927.djvu/168

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il a été répondu par des murmures ou par des sarcasmes.

La Chambre a été ensuite appelée à voter sur la priorité d’un ordre du jour qu’avait déposé M. Dalimier et dont le texte était habilement conçu pour épargner à certains députés l’embarras de voter sur des questions précises, notamment sur la loi militaire : « La Chambre, respectueuse des volontés du suffrage universel et résolue à ne donner sa confiance qu’à un cabinet capable de réunir une majorité de gauche… » M. Ribot a tout de suite éventé la mine. Il a déclaré qu’il accepterait bien volontiers un ordre du jour destiné à lui imposer l’obligation de réunir une majorité républicaine, mais il a ajouté qu’auparavant il voulait en obtenir un qui se prononçât nettement sur les articles essentiels du programme gouvernemental, loi militaire, réforme fiscale, laïcité de l’État.

Scrutin, dépouillement, pointage. La priorité est accordée à l’ordre du jour de M. Dalimier par 306 voix contre 262. Le cabinet est renversé. Les ministres quittent la séance, derrière M. Ribot, avec la dignité funèbre qu’il mettraient à suivre le convoi d’une illusion mort-née. Après leur départ, l’ordre du jour meurtrier est voté au fond par 395 voix et c’est à moi, bien entendu, que s’adresse ce commandement itératif.

À peine ces nouvelles me sont-elles parvenues à l’Élysée que M. Ribot et ses collègues, ministres et sous-secrétaires d’État, m’apportent leur démission collective. Je les remercie de leur dévouement et les félicite de leur courage. Ils s’éloignent et je reste seul, plus seul que jamais, dans le triste Palais qui m’a été donné pour sept ans comme observatoire