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Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 4, 1927.djvu/171

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scrupules juridiques, qui me dictent ma conduite. C’est un sentiment d’honneur et d’élémentaire probité. Je suis captif de la mission que j’ai acceptée pour sept ans et que je n’ai pas le droit d’interrompre, si je n’y suis pas directement contraint.

Je fais revenir successivement les deux présidents des Chambres. M. Antonin Dubost est perplexe. Entre MM. Viviani, Combes et Clemenceau, il balance sans prendre pied. Il craint que M. Viviani, même flanqué de M. Malvy, ne soit, en ce moment, un peu suspect aux radicaux orthodoxes. M. Paul Deschanel ne s’arrête pas à cette objection timorée. Il opine formellement pour un ministère Viviani. C’est, m’affirme-t-il, la combinaison qui sera le mieux accueillie au Palais-Bourbon.

Le 13 juin, à onze heures du matin, je rappelle donc M. Viviani. Il ne m’en coûte pas, loin de là. Je ne puis douter, ni de son patriotisme, ni de son esprit démocratique, ni de l’amitié qu’il m’a toujours témoignée. Sa vive intelligence, servie par une extraordinaire mémoire, sa culture générale, son génie oratoire, qui ne le cède à aucun autre, sont, pour le ministère qu’il présidera, de précieux gages de force et de succès. Il a, sans doute, quelques défauts de tempérament. Il est, par instants, ombrageux, susceptible, irritable. Il a comme des impatiences et des rudesses d’enfant gâté. Mais ces petits travers de nature sont compensés, et au delà, par sa générosité d’âme. Je lui fais part de l’opinion de M. Deschanel. Je le trouve tout disposé à renouveler ses démarches. C’est, me dit-il, à contre-cœur qu’il n’a pas voté à la Chambre pour le cabinet Ribot. Il a voulu par là me rendre plus facile un second appel à lui, car il avait prévu la chute immédiate du cabinet et