Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 4, 1927.djvu/41

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général Picquart dans l’affaire Dreyfus, ses funérailles aient lieu avec quelque solennité et aux frais de l’État. Il fait part de ce désir à la famille, que de pieux scrupules empêchent d’abord d’accepter et qui ne s’incline que devant le vote du Parlement.

Rompant avec la tradition de mes prédécesseurs à la présidence, je dîne ce soir à l’ambassade d’Allemagne. Jusqu’ici, les ambassadeurs étaient invités à l’Élysée, mais le Président de la République, n’acceptait pas leurs invitations, pour n’être pas exposé, par la fiction de l’exterritorialité, à se rendre en terre étrangère et surtout en pays allemand. Je ne vois aucune bonne raison de maintenir un usage qui ressemble à une bouderie. J’ai donc promis au baron de Schœn d’aller passer quelques heures dans le bel hôtel de la rue de Lille, que le roi de Prusse a acheté à si bon compte en 1815, qui était resté plein du souvenir d’Eugène de Beauharnais et de la Reine Hortense, et que l’Allemagne moderne a exorcisé par l’envoi d’un grand portrait de Guillaume II. Parmi les convives, MM. Doumergue, Ribot, Stephen Pichon. Le baron de Schœn m’accueille avec affabilité et bonhomie. Il me présente M. de Wangenheim, ambassadeur d’Allemagne à Constantinople, qui est de passage à Paris et ne s’y sent pas dépaysé. C’est un grand homme froid, positif, à l’esprit net et au langage impérieux. Il est convaincu que jamais les Turcs ne laisseront donner à la Grèce Chio et Mitylène. Ils ne s’inclineront pas même devant une volonté, formellement exprimée et notifiée, de toutes les puissances européennes. M. de Wangenheim affecte d’être assez préoccupé de la politique que suit, d’autre part, la Russie