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Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/67

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bilité, c’est-à-dire, si je comprends bien, la rejeter sur moi, et il ajoute que j’ai bien su changer de ministre de la Guerre en l’absence des Chambres. Je réplique que ce changement a été effectué, non par moi, mais par le président du Conseil et par le gouvernement, avec mon assentiment sans doute, mais en pleine indépendance et sous leur responsabilité constitutionnelle. Cette vérité précisée, je laisse la parole à ces messieurs, qui m’exposent leur motion.

Je ne puis leur dire à quel point je suis de leur avis et je donne la parole à Millerand, avec qui je ne veux pas paraître en opposition devant eux. Il défend avec un peu de raideur ce qu’il appelle les prérogatives gouvernementales et il ne donne certainement pas à nos interlocuteurs l’impression qu’il ait la volonté bien arrêtée de constituer une armée complémentaire. Freycinet insiste, de sa voix grêle, avec clarté, douceur et finesse, Clemenceau, d’un ton bourru, avec une netteté tranchante, Doumer, d’un accent impérieux, avec un peu d’âpreté. Millerand reste sur la défensive et ne livre pas le fond de sa pensée. Je tâche de faire entendre au bureau de la commission, sans cependant découvrir le ministre de la Guerre, que le gouvernement est d’accord avec elle. Mais finalement l’effet produit sur les sénateurs demeure incertain, et ce qui aggrave cette incertitude, c’est que, dans la journée même, Millerand a écrit à Freycinet une lettre qui semble évasive et dont Freycinet se déclare peu satisfait. Nos visiteurs partis, je reproche à Millerand d’être trop boutonné. « Je ne puis me refaire, » me répond-il. Dans l’espoir d’arranger les choses, j’envoie à Freycinet un mot pour lui demander rendez-vous et, par égard pour son grand âge, je lui offre d’aller