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raymond poincaré

nées chères au vieil Empereur actuel. La puérilité menace de succéder à la sénilité. Il y a de quoi affliger ceux qui, dans l’atmosphère viennoise d’irréflexion et d’insouciance, s’inquiètent, pour la cohésion de la Monarchie, des périls d’un très prochain avenir. Signé : Dumaine.

Dans une autre dépêche, datée du 30, M. Dumaine ajoute : D’après M. Jovanovitch (ministre serbe à Vienne), son gouvernement se serait imposé depuis longtemps la règle de faire respecter le rigoureux isolement où sont maintenues les deux provinces annexées. On traitait à Belgrade les frères de race du pays voisin « comme s’ils eussent été infestés du choléra ». Mais les frères Bosniaques n’ont pas besoin qu’on les excite. La grande majorité d’entre eux se résignent à attendre des événements propres à leur rêve de panserbisme ; quelques violents, plus anarchistes que patriotes, préconisent le recours aux moyens révolutionnaires. Qu’ils aient des affiliations avec des groupes semblables en Serbie même et qu’ils s’y approvisionnent des engins à employer, en Serbie, c’est encore assez vraisemblable. Si toutefois leurs menées échappent à l’ombrageuse police autrichienne, comment reprocher à l’administration serbe l’insuffisance de sa surveillance ?

Le même jour, notre consul général à Budapest écrit au Quai d’Orsay : Celui que les Hongrois dénonçaient comme leur ennemi et comme l’ami des Slaves a péri assassiné par des Serbes, C’est que François-Ferdinand n’était pas plus aimé des Serbes et des Slaves en général que des Hongrois. D’une part, on ne lui pardonnait pas d’avoir été l’inspirateur principal de l’annexion de la Bosnie-Herzégovine. D’autre part, les nationalistes serbes et slaves avaient toutes raisons de se méfier de ses grands projets trialistes. En donnant satisfaction à certaines revendications, en constituant ces États slaves dans le cadre même de la monarchie, ces projets étaient de nature à séparer pour toujours du royaume les Serbes de l’Empire et peut-être même un jour ou l’autre, en vertu de la force d’attraction d’un grand État, auraient-ils conduit à l’annexion pure et simple de la Serbie.

Dans l’ensemble, les appréciations de nos agents ont été confirmées par tout ce qu’on a pu savoir plus tard des causes et des conditions de l’attentat. Il est certain que Prinzip et Kabrinovitch étaient sujets autrichiens. Il n’est pas moins certain que le conseiller de section Wiesner, chargé par le Ballplatz de procéder à une enquête au sujet du double meurtre de Serajevo, a écrit dès le 13 juillet 1914 dans son rapport officiel : La complicité du gouvernement serbe dans la direction de l’attentat, dans la préparation ou la livraison des armes, n’est prouvée par rien, et n’est même pas à présumer. Bien plus, il y a des raisons qui font considérer cela comme impossible. Sans doute, les deux meurtriers avaient habité Belgrade, et les grenades portaient la marque de l’arsenal serbe de Kragujevats. Mais M. Wiesner déclarait dans le même rapport : Il n’y a pas de preuves qu’elles aient été prises dans ce dépôt au moment de l’attentat et dans cette intention, car ces bombes peuvent provenir de munitions des comitadjis datant de la guerre.