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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/113

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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

guerre, car l’Allemagne modifierait immédiatement son attitude. » Sir Francis Bertie, qui, dans son télégramme à sir Ed. Grey, a fidèlement rapporté mes déclarations, a toutefois omis d’écrire qu’il m’avait dit : « Personnellement, je pense comme vous. »

Autre télégramme de M. Jules Cambon, parti le 30 à 2 h. 30 et reçu à 16 heures : Secret… Le bruit court que la mobilisation aurait été décidée en Conseil ce matin et serait probablement décrétée demain. Aux correspondants de journaux, à la Wilhelmstrasse, on a déclaré qu’on ne pouvait ni démentir, ni confirmer des bruits de cette nature, mais que des résolutions graves avaient été prises. Il règne une grande émotion. Je sais qu’à Metz on garnit de troupes les forts. Signé : J. Cambon.

Une heure après, à 3 h. 30, M. Jules Cambon envoie de nouveau un télégramme, qui arrive cinq minutes après le précédent : Le secrétaire d’État me téléphone que la nouvelle de la mobilisation allemande est fausse. Il me prie de vous en informer d’urgence. Le gouvernement impérial fait saisir tous les suppléments de journaux qui l’annoncent. Signé : Jules Cambon. Ainsi, le bruit court à Berlin que la mobilisation a été décidée en Conseil le matin et qu’elle sera probablement publiée le lendemain. Les journalistes demandent à la Wilhelmstrasse confirmation ou démenti. On refuse de leur répondre. Un journal publie la nouvelle. On le saisit et M. de Jagow prend la peine de téléphoner à M. Jules Cambon, comme à l’ambassadeur de Russie, qu’il est faux que l’Allemagne mobilise. Comment cacher qu’au reçu de ces télégrammes nous ne nous sentons pas rassurés ? Tout se passe, dirait un mathématicien, « comme si » la mobilisation avait bien été décidée en Conseil et comme si le gouvernement allemand voulait encore la tenir secrète, de façon à devancer dans l’ombre les autres Puissances ; et, à vrai dire, si l’État-major général russe, dont les Soviets n’ont pas publié les archives, a eu, le 29 et le 30 juillet, des renseignements analogues à ceux que nous recevions de notre propre ambassadeur, on comprend que le gouvernement russe, préoccupé des lenteurs exceptionnelles de sa mobilisation, n’ait plus osé retarder sa décision. La suite des télégrammes de M. Jules Cambon ne nous laisse, du reste, aucune illusion sur les véritables dispositions de l’Allemagne.

Berlin, 30 juillet 1914, reçu à 18 h. 20. Secret. J’ai lieu de penser que toutes les mesures de mobilisation qui peuvent être prises avant la publication de l’ordre général de mobilisation vont être prises. On cherche évidemment à nous faire publier notre mobilisation les premiers. Il nous appartient de déjouer ce calcul et de ne pas céder aux impatiences qui se produiront certainement dans la presse et l’opinion à Paris. Ainsi, tout est prêt à Berlin, on prend secrètement toutes les mesures pour préparer la mobilisation, on va publier le décret, et, par