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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/12

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raymond poincaré

s’éloigner de la politique austro-hongroise. Il n’y avait plus, disaient-ils, à espérer de changement favorable et ils concluaient que l’Autriche devait désormais renoncer, non seulement à l’égard de la Roumanie, mais à l’égard de la Serbie et de la Russie, à ce qu’ils appelaient « la politique de l’attente tranquille ». Il fallait provoquer une alliance entre la Bulgarie et la Turquie et utiliser l’action combinée de ces deux peuples contre la Serbie. Ce mémoire, où se révèle si crûment la pensée secrète de l’Autriche-Hongrie, la propagande allemande s’est efforcée depuis quelques années de l’ensevelir sous les commentaires du Livre noir soviétique. Mais il n’en était pas moins rédigé dès le 24 juin et il était évidemment fait pour préparer l’encerclement et l’humiliation de la Serbie.

Ce document significatif allait partir pour Berlin au moment même où est tué François-Ferdinand. Aussitôt, François-Joseph en presse l’expédition et l’appuie d’une lettre autographe à Guillaume II : Les efforts de mon gouvernements écrit-il, doivent désormais avoir pour but l’isolement et l’amoindrissement de la Serbie. La première étape dans cette voie serait à chercher dans un renforcement de l’autorité du gouvernement bulgare actuel, de façon que la Bulgarie, dont les véritables intérêts concordent avec les nôtres, demeure à l’abri d’un retour à la russophilie. Lorsqu’on saura à Bucarest que la Triple-Alliance est décidée à ne pas abandonner l’idée de s’adjoindre la Bulgarie, mais qu’elle est disposée à engager celle-ci à se lier avec la Roumanie et à garantir l’intégrité territoriale de cette dernière, on reviendra peut-être de la dangereuse direction où l’on a été poussé par l’amitié serbe et par le rapprochement avec la Russie. On pourrait de plus, en cas de succès, tâcher de réconcilier la Grèce avec la Bulgarie et avec la Turquie. Il se formerait ainsi, sous les auspices de la Triple-Alliance, une nouvelle ligue balkanique qui aurait pour objet d’arrêter la pression de la vague panslavite et d’assurer la paix à nos États. Tout cela ne sera possible que si la Serbie, qui est actuellement le pivot de la politique panslavite, est éliminée des Balkans en tant que facteur politique.

En même temps, le mémoire est complété par une conclusion énergique : La nécessité s’impose pour la Monarchie de déchirer d’une main vigoureuse le réseau que son adversaire voulait jeter sur sa tête comme un filet.

La mort de François-Ferdinand n’a donc pas été la cause, elle n’a été que l’occasion et le prétexte de la Strafexpedition que l’Autriche préparait déjà contre la Serbie. Aussi bien, le lendemain même de l’attentat, le comte Berchtold disait au chef d’état-major, Conrad von Hoëtzendorff, que l’heure avait sonné de résoudre la question serbe. Le ministre des Affaires étrangères annonçait en même temps, au comte Tisza, président du Conseil hongrois, « son intention de profiter du crime de Serajevo pour régler les comptes avec la Serbie ». Le comte Tisza était alors assez hésitant. Non pas, semble-t-il, par amour de la paix, car il écrivait lui-