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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/135

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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

Pendant la séance du Conseil, le préfet de police, M. Hennion, nous informe que Jean Jaurès vient d’être assassiné dans un café. Par qui ? Par un fou ? ou par un adversaire politique aveuglé de fanatisme ? Nous ne le savons pas. Le grand orateur socialiste s’est, depuis une huitaine de jours, rapproché du gouvernement et il a chaleureusement soutenu l’action pacifique de M. Viviani. Nul doute que son patriotisme et sa générosité d’âme n’eussent fait de lui, en cas de guerre, comme de Guesde et de Sembat, le collaborateur précieux d’un cabinet de défense nationale. Quel crime abominable et sot ! Je fais porter un mot à Mme J. Jaurès pour lui exprimer mon indignation et ma tristesse. Je télégraphie également à l’amiral Jaurès, frère de la victime, pour lui témoigner mes sympathies. À la suite de ce meurtre, le préfet craint des troubles graves. Il demande instamment que deux régiments de cavalerie, qui sont sur le point de partir pour l’Est, ne s’éloignent pas immédiatement. Il faut bien nous résigner à lui donner satisfaction. L’identité de l’assassin est établie pendant la nuit. Il s’appelle Raoul Villain ; il est fils d’un greffier de Reims ; sa mère a été enfermée dans une maison de santé et il semble que, lui-même, il soit un détraqué. Les députés socialistes, douloureusement attristés de la perte qu’ils font, s’emploient tous cependant à maintenir le calme. Ils donnent au gouvernement l’assurance qu’il ne sera pas troublé. M. Maurice Barrès écrit publiquement une très belle lettre de condoléances à Mme Jaurès. C’est, hélas ! dans le sang, et peut-être demain pour et par le sang, que se scelle l’union nationale. Contrairement aux prévisions pessimistes de M. Hennion, il ne se produit pas le moindre trouble dans Paris. La ville est digne et silencieuse.


Samedi 1er août. — Le gouvernement britannique nous paraît toujours bien lent à se décider. S’il avait parlé plus tôt et plus haut, s’il avait proclamé, dès le début, qu’il ne laisserait pas attaquer la France, l’Allemagne ne se serait-elle pas plus vite et plus fermement interposée auprès de l’Autriche ? C’est une question que, ni M. Viviani, ni ses collègues, ni moi, nous n’avons la prétention de résoudre. Mais après ce que nous ont tant de fois écrit et télégraphié MM. Paul et Jules Cambon, nous ne saurions nous défendre de nous la poser tout bas. Sir Ed. Grey a cependant fait tout ce qu’il a pu tenter jusqu’ici sans rompre l’union de son cabinet et il a fini par tenir hier au prince Lichnowsky un langage beaucoup plus net. C’est ce que nous rapporte M. Paul Cambon dans une dépêche, qui, datée du 31 juillet, nous arrive le 1er août et nous confirme le télégramme d’hier : Au début de notre entretien d’aujourd’hui (vendredi 31), sir Ed. Grey m’a dit que le prince Lichnowsky lui avait demandé si l’Angleterre