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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/139

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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

la sincérité de ses déclarations. Comme nous tous, jusqu’à la dernière heure, il refusait de croire à une rupture définitive. C’était cet espoir obstiné d’un miracle sauveur qui avait déterminé le Conseil des ministres à maintenir le repli des troupes à dix kilomètres de la frontière, malgré l’annonce de la mobilisation pour le lendemain, et comme M. Messimy craignait que les militaires ne vissent quelque désaccord entre les deux prescriptions et que la cavalerie notamment ne se crût libre de dépasser la ligne fixée, il a encore envoyé, le soir du {1er août, à 22 h. 30, une instruction précise ; il m’a même demandé, et je lui ai donné, l’autorisation d’y invoquer mon nom ; c’est le télégramme de M. Messimy à l’État-major général : Le ministre de la Guerre insiste encore, de la part du Président de la République, et pour des raisons diplomatiques sérieuses, sur la nécessité de ne pas franchir la ligne de démarcation indiquée par le télégramme du 30 juillet et rappelée par un télégramme d’aujourd’hui. Cette interdiction s’applique aussi bien à la cavalerie qu’aux autres armes. Aucune patrouille, aucune reconnaissance, aucun poste, aucun élément, ne doit se trouver à l’est de ladite ligne. Quiconque l’aurait franchie serait passible du conseil de guerre et ce n’est qu’en cas d’attaque bien caractérisée qu’il sera permis de transgresser cet ordre, qui sera communiqué à toutes les troupes.

Le Conseil tenait donc essentiellement à ce qu’on ne pût, ni tirer des conséquences dangereuses des mesures militaires que la nécessité l’avait forcé à prendre, ni en dénaturer le caractère aux yeux du monde. Il a même jugé bon d’interpréter publiquement devant le pays l’acte grave qu’il venait d’accomplir. M. Viviani a préparé à la hâte, sur la table même du Conseil, un manifeste destiné à être affiché dans toutes les communes de France. Il nous a lu son texte et il m’a demandé si je consentirais à le signer moi-même avec tous les ministres. J’ai accepté, après avoir proposé au Conseil de légères modifications de pure forme, qui ont été admises sans la moindre objection.

J’ai soigneusement conservé, comme un émouvant souvenir de ces horribles journées, le manuscrit de M. René Viviani. Il a été jeté d’une écriture fébrile sur deux feuilles de papier à lettres, à en-tête de la Présidence de la République. Il contient toutes les phrases essentielles du manifeste qui a été placardé, et notamment celles-ci : Depuis quelques jours, l’état de l’Europe s’est considérablement aggravé et, en dépit des efforts de la diplomatie, l’horizon s’est assombri. M. Viviani avait, d’abord, écrit : de la diplomatie. Il a ensuite corrigé la par notre et il est revenu finalement à l’article la pour ne désobliger aucune nation. Le texte du manuscrit continue : À l’heure présente, la plupart des pays d’Europe ont mobilisé leurs forces, même les pays protégés par la déclaration de neutralité. Sur mon observation que la Suisse n’avait pas mobilisé, le Conseil a remanié ce pas-