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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/158

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raymond poincaré

d’Orsay des télégrammes précis de M. Paul Cambon : Londres, 4 août, 1914, 12 h. 17. Sir Ed. Grey m’a dit que nous devions considérer comment liant le gouvernement britannique la déclaration concernant l’intervention de la flotte anglaise visée par mon télégramme 178. La discussion se poursuit à la Chambre des communes, mais le succès du gouvernement est assuré. No 193, 12 h. 17. Sir Ed. Grey, que j’ai vu après le Conseil de cabinet de ce soir et que j’ai interrogé sur ce que vous pouviez annoncer demain à la Chambre d’une manière officielle, m’a dit que vous (mot passé) donner connaissance de la déclaration qu’il m’a remise sur les opérations navales et dont je vous ai adressé le texte dans mon télégramme 186 bis. En ce qui touche la Belgique, vous pouvez déclarer que le gouvernement britannique ne se désintéresserait pas de la neutralité belge et qu’il maintiendrait le traité de garantie. Enfin, vous pouvez annoncer que la mobilisation de la flotte anglaise est achevée et que les ordres déjà sont donnés pour la mobilisation de l’armée de terre.

No 194, 12 h. 17. Secret. Sir Ed. Grey m’a dit confidentiellement que, dans le Conseil de ce soir, il avait été décidé que des instructions seraient adressées demain matin à l’ambassade d’Angleterre à Berlin pour inviter le gouvernement allemand à retirer son ultimatum à la Belgique. S’il s’y refuse, a ajouté le secrétaire d’État, ce sera la guerre.

Entre temps, à Berlin, les services de propagande s’emploient, avec une déconcertante activité, à une savante falsification des faits. Le ministère de la Wilhelmstrasse a rédigé, la nuit dernière, un avis destiné à être publié en Angleterre et en Amérique. Il y est prétendu, contre toute vérité, que M. Viviani a dit à M. de Schœn : « La France se tiendra aux côtés de la Russie. » Le public, dit notre ambassadeur, est convaincu que des détachements français ont passé la frontière allemande et, depuis hier, deux journaux de Berlin ont annoncé que des aviateurs français ont jeté des bombes jusque sur Nuremberg.

On composait ainsi la fable qui allait fournir prétexte à la déclaration de guerre.

Le lundi 3 août, à six heures et quart de l’après-midi, notre cher et éminent ami, M. Myron T. Herrick, ambassadeur des États-Unis, téléphone au Quai d’Orsay et, la voix mouillée de larmes, fait savoir à M. Viviani que M. de Schœn, après avoir demandé aux États-Unis d’accepter la défense des intérêts allemands en France, a exprimé le désir que la bannière étoilée fût hissée sur l’ambassade d’Allemagne. M. Herrick a accepté provisoirement, sous réserve de l’approbation des États-Unis, la mission de défendre les intérêts allemands ; il a refusé de hisser le drapeau américain sur l’ambassade de la rue de Lille.

M. Viviani comprend que c’est la guerre ; il donne l’ordre de me prévenir et il attend la visite que, peu de minutes plus tard, lui fait annoncer