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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/162

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RAYMOND POINCARÉ

du gouvernement, aucun acte personnel, je ne songe pas cependant à invoquer mon irresponsabilité constitutionnelle pour décliner, aujourd’hui plus qu’hier, une responsabilité morale ; je n’entends pas commettre la lâcheté de m’abriter derrière un cabinet, qui n’est pas, en majorité, composé de mes anciens amis politiques. Je me solidarise volontiers avec lui et je dis que, lui et moi, nous avons tout fait pour éviter la guerre.

Non, non, aucun des hommes politiques français n’a rien à se reprocher. Ministres de juillet 1914 ou ministres antérieurs, tous ceux qui ont eu entre les mains le sort de la France peuvent se présenter la tête haute devant l’Histoire. À aucun moment, ils n’ont trahi la cause de la paix ; à aucun moment, ils n’ont péché contre l’humanité. Les coupables sont le gouvernement autrichien, qui a déclaré la guerre à la Serbie, et le gouvernement allemand, qui l’a déclarée successivement à la Russie et à la France, et qui viole maintenant la neutralité belge. Il n’a aucune excuse, puisque la rapidité de sa mobilisation lui laisse, en tout cas, l’avantage. Jusqu’à la déclaration de guerre, tout pouvait encore être sauvé. Après la déclaration de guerre, tout était perdu.

Mais, devant les épreuves qui nous attendent, il ne suffit pas d’être sans reproche pour être sans tristesse et, le soir de cette cruelle journée du 3 août, je songe, avec douleur, aux massacres qui se préparent et à tant de jeunes hommes qui vont bravement à la rencontre de la mort.


Mardi 4 août 1914. — Sir Ed. Grey a prononcé hier aux Communes un discours très remarquable, qui a obtenu un grand succès. Il a montré que l’Allemagne faisait à la France une guerre offensive. Il a expliqué que l’Angleterre n’avait envers nous aucune obligation diplomatique. Il a lu nos accords du 22 novembre 1912 ; il a parlé de nos conventions militaires ; il a conclu que l’Angleterre était libre de tout engagement juridique, mais qu’elle était liée à la France par une amitié sincère et que son intérêt national était, d’ailleurs, que nos côtes ne fussent pas insultées. Il a beaucoup plus insisté sur l’ultimatum signifié par l’Allemagne à la Belgique, sur la noble lettre adressée par le roi Albert Ier au roi George V sur la garantie de neutralité donnée par les Puissances et notamment par l’Angleterre. La Chambre a acclamé le ministre. L’opinion britannique a achevé son évolution. Anglais et Français, les deux peuples sont maintenant à l’unisson.

L’Angleterre n’est malheureusement pas tout à fait prête à entrer en action. Elle est si loin d’avoir voulu la guerre qu’elle en est encore à la procédure diplomatique : « Télégramme de Londres, no 202, 4 août 6 h. 19. Sir Ed. Grey m’a prié de venir le voir à l’instant pour me dire que le