Aller au contenu

Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
comment fut déclarée la guerre de 1914

devait agir sans tarder. Cette phrase est confirmée par le comte Hoyos, qui a été directement mêlé aux négociations des 5 et 6 juillet : « Je considère, dit-il, comme de mon devoir de déclarer qu’à Berlin, le comte de Szögyéni et moi, nous avons eu tous deux l’impression que le gouvernement allemand était favorable à une action offensive immédiate de notre part contre la Serbie, tout en reconnaissant fort bien qu’une guerre mondiale pouvait s’ensuivre. »

Mais il y a eu à Potsdam et à Berlin, les 5 et 6 juillet, d’autres conversations que celles que je viens de résumer. On a même pensé qu’il s’était tenu au château impérial un grand conseil de la Couronne. Il semble bien que les entretiens du 6 juillet n’ont pas pris cette forme solennelle, mais il n’en est pas moins établi qu’à cette date, et, après avoir reçu l’ambassadeur d’Autriche, l’Empereur a eu de longues conférences avec les plus hautes autorités militaires et navales.

D’après le Livre blanc qu’a publié le Reich au mois de juin 1919, rien n’aurait été plus inoffensif et plus banal que ces conversations. Dans un déjeuner sans cérémonie, on aurait échangé de vagues propos sur la situation politique. Le lendemain, Guillaume, complètement rassuré par ses visiteurs, serait parti pour sa croisière dans la mer du Nord, avec toute la tranquillité d’une conscience sans peur et sans reproche. Le Livre blanc ajoute cependant : Il n’a pas été pris (à Potsdam) de décisions spéciales, puisqu’il n’était pas possible de refuser à l’Autriche l’appui qui lui était dû, en vertu des obligations de l’alliance, dans les demandes de garanties réelles à obtenir de la Serbie. Le Livre blanc reconnaît, en outre, expressément qu’à Berlin on tenait également compte de la possibilité de l’immixtion de la Russie et de ses conséquences, mais, ajoute-t-il, on ne comptait pas sur une probabilité quelconque de guerre générale. Quant à une intention de provoquer un conflit européen, il ne peut en être question.

Ces explications lénitives se heurtent à de nombreux démentis. Le prince Lichnowsky, ambassadeur d’Allemagne à Londres, a confirmé, dans ses Mémoires, les renseignements donnés par le comte de Szögyéni. Je reçus, dit-il, à la fin de juin ordre de l’Empereur d’aller à Kiel… À bord du Meteor (le yacht de l’Empereur), j’appris la mort de l’héritier présomptif austro-hongrois. Sa Majesté exprima son regret que ses efforts pour gagner l’archiduc à ses idées se trouvassent ainsi déjoués. Je ne sais si un plan de politique active dirigée contre la Serbie avait déjà été établi à Konopischt… Je vis à Berlin le chancelier impérial et lui dis que je croyais notre situation extérieure fort satisfaisante, étant donné que nous nous trouvions sur un meilleur pied avec l’Angleterre que nous ne l’avions été depuis longtemps… En France, aussi, un gouvernement pacifique était au pouvoir. Herr von Bethmann-Hollweg ne parut pas partager mon optimisme et se plaignit des armements russes… On se garda