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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/43

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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

sur les eaux endormies. Les regards perdus dans le lointain, nous rêvons en silence. Que nous réserve l’Autriche ? Prépare-t-elle vraiment un coup de force contre la Serbie ? Le yacht se range le long du débarcadère de Peterhof. Il est une heure du matin lorsque nous rentrons au Palais.

Cependant, M. Sazonoff, rentré à son ministère du Pont-aux-Chantres et maintenant préoccupé des bruits qui commencent à courir, a cru devoir télégraphier, dans la nuit, à son représentant en Autriche : D’après des bruits qui courent ici, l’Autriche se prépare évidemment à faire à Belgrade diverses demandes en relation avec les événements de Serajevo. Veuillez signaler au ministre des Affaires étrangères, d’une manière amicale, mais ferme, les dangereuses conséquences auxquelles pourrait conduire une telle démarche, si elle venait à être d’une nature incompatible avec la dignité de la Serbie. De mes conversations avec le ministre français des Affaires étrangères, il ressort que la France se préoccupe, elle aussi, du changement qui peut se produire dans les relations austro-serbes, et qu’elle n’est pas disposée à permettre une humiliation injustifiable de la Serbie. L’ambassadeur de France à Vienne a reçu pour instruction de conseiller au gouvernement austro-hongrois d’user de modération. Suivant nos informations, Londres aussi condamne l’intention attribuée à l’Autriche de créer des complications internationales à propos de cette affaire et le gouvernement britannique a également chargé son représentant à Vienne de s’exprimer lui-même en ce sens. Je ne perds pas l’espoir que la raison prévaudra à Vienne sur les tendances belliqueuses et que des avertissements donnés à temps par les grandes puissances serviront encore à détourner l’Autriche de mesures irrévocables. Avant de vous adresser au comte Berchtold à ce sujet, veuillez en conférer avec vos collègues français et anglais, mais ne pas oublier que, pour éviter toute aggravation de la question, les démarches que vous ferez, vous et eux, ne doivent ni paraître combinées, ni être simultanées.

Mercredi 9/22 juillet. — Vers onze heures du matin, je quitte Peterhof en victoria, toujours accompagné par l’aide de camp de l’Empereur, le général Pantelief, qui ne fait pas le moindre effort pour avoir l’air martial et qui est bien le type du général de Cour. Il me conduit à Alexandria, la villa qu’habite la famille impériale.

Modeste cottage en briques, composé de deux petits bâtiments jumeaux que relie un pont couvert, Alexandria est entourée d’un beau parc, planté de grands arbres et agréablement vallonné, qui s’étend de la chaussée de Pétersbourg à la mer et dans lequel l’impératrice Anne se plaisait jadis à chasser le poil et la plume. Par un escalier très étroit, je monte à un premier étage de bourgeoise apparence et, en traversant une salle à manger de dimensions minuscules, je pénètre dans un gra-