Aller au contenu

Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
RAYMOND POINCARÉ

affaires extérieures de la Serbie et que celle-ci serait autorisée à regarder comme une attaque contre sa souveraineté et son indépendance (ce second point n’avait plus d’intérêt, puisque l’ultimatum était remis et, du reste, sir G. Buchanan savait, dès le 23, que M. Sazonoff et M. Viviani avaient chargé les ambassadeurs russe et français à Vienne de donner des conseils amicaux de modération. Il l’avait même télégraphié le 23 à sir Ed. Grey) ; 3o affirmation solennelle des obligations imposées par l’alliance des deux contrées (ce troisième point n’était pas plus nouveau que les deux autres. Il n’était que la répétition surabondante de ce que les gouvernements russe et français n’avaient cessé de proclamer depuis le début de l’alliance). Je ne sais donc pourquoi ce passage du télégramme de sir G. Buchanan a, d’abord, été supprimé dans le Livre bleu. Il a été, depuis lors, inséré dans les British documents de 1926 avec le plein assentiment du gouvernement français et n’a jamais eu rien de clandestin ni de mystérieux La seule chose piquante est qu’il a été publié en Allemagne avant de l’être en Angleterre, parce que le Foreign Office l’a communiqué en 1924, avec l’assentiment de M. Ramsay Mac Donald, à un érudit allemand, qui paraît être M. Stieve. On en a naturellement conclu, dans certains cercles berlinois, qu’il présentait une gravité particulière.

En faisant à sir G. Buchanan la communication dont l’ambassadeur a rendu compte à sir Ed. Grey, M. Sazonoff poursuivait la réalisation d’un désir qui hantait, depuis quelque temps, le gouvernement russe et que la connaissance de l’ultimatum autrichien avait naturellement avivé. Il souhaitait que l’Angleterre se déclarât solidaire avec la France et la Russie et il espérait qu’ainsi la monarchie dualiste pourrait être amenée à se montrer moins intransigeante. N’oublions pas, d’ailleurs, qu’au même moment le Conseil des ministres russe recommandait à la Serbie de retirer ses troupes et de ne pas livrer bataille.

Mais sir G. Buchanan avait répondu qu’il ne pouvait pas s’engager au nom de son gouvernement. Il avait ajouté qu’à son avis le meilleur parti à prendre était de gagner du temps et, pour cela, de demander à l’Autriche la prolongation du délai accordé à la Serbie. M. Paléologue avait répliqué qu’il lui paraissait déjà bien tard pour réussir dans cette démarche et qu’à son avis la seule chance d’éviter la guerre était que la Triple-Entente prouvât son union et sa fermeté. Sir G. Buchanan avait fini par dire : « Je pense que sir Ed. Grey ne refuserait pas de représenter fermement à Vienne et à Berlin le danger qu’entraînerait pour la paix européenne une attaque de l’Autriche contre la Serbie. » Mais il redoutait, avouait-il, que l’opinion publique anglaise ne se rendît pas exactement compte de la situation.