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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/79

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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

qu’il ne veut point porter atteinte à l’intégrité du royaume. Sa seule intention est celle d’assurer sa tranquillité. En ce moment, la décision si une guerre européenne doit éclater dépend uniquement de la Russie. Le gouvernement allemand a la ferme confiance que le gouvernement français, avec lequel il se sait solidaire dans l’ardent désir que la paix européenne puisse être maintenue, usera de toute son influence dans un esprit apaisant auprès du cabinet de Saint-Pétersbourg.

L’Allemagne tient donc à son plan. Elle ne veut pas agir à Vienne. Elle nous demande d’agir à Saint-Pétersbourg. Le 27, à 14 heures, M. de Schœn, n’ayant pas obtenu de M. Bienvenu-Martin d’autre réponse que celle de la veille, revient au Quai d’Orsay et se présente à M. Abel Ferry. Il se déclare prêt personnellement à insister auprès de son gouvernement pour que la même démarche soit faite à Vienne et à Pétersbourg. Mais il sait bien que sa proposition ne concorde pas avec celle de son gouvernement et qu’elle n’a aucune chance d’être acceptée ; il le sait si bien qu’il ne télégraphie rien de cette conversation à M. de Bethmann-Hollweg ; c’est seulement plus tard, dans ses Mémoires, qu’il en parlera. Si le chancelier excluait toute recommandation à Vienne, c’est qu’il avait son but, celui que signalait M. J. Cambon : rompre l’alliance russe. Il en faisait lui-même l’aveu à M. Rœdern, secrétaire d’État pour l’Alsace-Lorraine : « Si nous réussissions, non seulement à ce que la France se tînt tranquille, mais à ce qu’elle invitât Pétersbourg à la paix, ce fait aurait pour nous une répercussion très favorable sur l’alliance franco-russe. » Quoi qu’en dise M. de Romberg, ce n’est donc pas M. Bienvenu-Martin qui a fait, en cette circonstance, échouer une tentative de conciliation.

La Triple-Entente s’ingéniait, au contraire, pour multiplier les essais d’arrangement. Lorsque, le lendemain 27, M. de Schœn, qui travaillait sincèrement, quant à lui, au maintien de la paix, revenait encore au Quai d’Orsay, revoyait M. Bienvenu-Martin et semblait, pour la première fois, approuver l’idée d’obtenir à la fois de la Serbie et de l’Autriche l’engagement de s’abstenir de tout acte d’hostilité, M. Bienvenu-Martin n’hésitait pas ; il appelait aussitôt M. Paul Cambon, qui était à Paris et allait repartir pour Londres, et il le priait de porter cet entretien à la connaissance de sir Ed. Grey.

Déjà, du reste, le secrétaire d’État britannique avait soumis aux cabinets de Berlin, de Rome et de Paris, une proposition qui s’inspirait heureusement des précédents de 1912 et de 1913 : les ambassadeurs de France, d’Allemagne et d’Italie seraient chargés de rechercher avec lui un moyen de dénouer la crise, étant entendu que, pendant cette conversation, la Russie, l’Autriche et la Serbie s’abstiendraient de toute opération militaire active.