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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/8

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raymond poincaré

bout portant, sur l’archiduc et sur la duchesse de Hohenberg et qui avait blessé celui-là à la tête et celle-ci au ventre. Tous deux, transportés au Konak, étaient morts quelques minutes après.

Bien que cette nouvelle n’ait encore aucun caractère officiel, je me crois obligé de remettre le télégramme au comte Szecsen, ambassadeur d’Autriche-Hongrie, assis non loin de moi dans la tribune. Il blêmit, se lève et me demande la permission de rentrer à son ambassade pour y attendre une information directe de son gouvernement. Les autres ambassadeurs, mis au courant, ne se retirent point, et je me trouve, par suite, forcé de rester au milieu d’eux jusqu’à la fin des courses. Mais nous ne parlons plus que de ce meurtre et des complications politiques qu’il peut entraîner. Les uns se demandent quel va être l’avenir de la monarchie des Habsbourg, les enfants de l’archiduc et de sa femme morganatique ayant été précédemment exclus de la succession au trône par la volonté de François-Joseph ; les autres s’inquiètent de voir se poser de nouveau, à l’état aigu, les problèmes balkaniques. M. Lahovary, ministre de Roumanie, est très sombre. Il redoute que ce crime ne fournisse à l’Autriche un prétexte pour déclencher une guerre.

Rentré à l’Élysée, je m’empresse de télégraphier au vieil Empereur : J’apprends avec une tristesse indignée l’attentat qui inflige une nouvelle douleur à Votre Majesté et qui met en deuil la famille impériale et l’Autriche-Hongrie. Je prie Votre Majesté de croire à ma profonde sympathie. À vrai dire, je n’étais pas très sûr que la mort du neveu plongeât l’oncle dans une profonde douleur. Je n’ignorais pas que leurs rapports étaient assez tendus et que François-Joseph n’avait jamais pardonné à l’archiduc héritier son mariage avec Sophie Chotek. À en croire, en effet, le général Margutti, François-Joseph, en apprenant la mort de son héritier, se serait borné à dire : « Une puissance supérieure a rétabli l’ordre que malheureusement je n’avais pas été en état de maintenir. » Quoi qu’il en soit, dès le lundi, je reçois de l’Empereur une réponse où il me remercie de mes condoléances, en termes aussi chaleureux que pourrait le faire un homme très affligé.

Peu à peu des renseignements divers nous arrivent sur le drame de Serajevo et sur les suites qu’il peut avoir. Notre ambassadeur à Vienne, M. Dumaine, écrit le 29 juin, à M. Viviani[1] : Le comte Berchtold[2] m’a parlé avec une sincère émotion de sa longue intimité avec l’archiduc défunt. Étant du même âge, il avait, dès l’enfance et pendant les années de jeunesse, entretenu avec François-Ferdinand d’Este des rapports de camaraderie, transformés

  1. Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères.
  2. Ministre des Affaires étrangères à Vienne.