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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/83

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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

tendu quelques émules de Mr. Barnes, un revirement en Allemagne dans le sens de la raison et de la paix ? M. Pierre Renouvin, à qui son impartialité scrupuleuse a quelquefois valu l’honneur inattendu d’être présenté par les « innocentistes » d’outre-Rhin et d’outre-Atlantique comme un partisan de leur thèse, a définitivement démontré qu’en dépit de quelques apparences l’attitude de l’Allemagne ne s’est nullement modifiée.

Le 27 juillet, dans une nouvelle conversation avec le prince Lichnowsky, sir Ed. Grey, qui venait de prendre connaissance de la réponse serbe, avait remarqué qu’elle donnait satisfaction aux exigences autrichiennes « dans une mesure qu’il n’aurait jamais cru possible ». Il lui semblait évident, disait-il, que ces concessions de la Serbie devaient être attribuées exclusivement à une pression de Pétersbourg. C’était donc maintenant l’Autriche qui devait se montrer conciliante. Si elle commençait des opérations militaires, si elle occupait Belgrade, la Russie verrait là une provocation directe, et ce serait la guerre, la plus terrible guerre que l’Europe eût jamais connue.

Lichnowsky s’empresse de communiquer à Berlin les déclarations du secrétaire d’État britannique et il ajoute : Pour la première fois, j’ai trouvé le ministre mécontent. Il m’a parlé avec le plus grand sérieux… Je suis convaincu que si, maintenant, on en venait à la guerre, nous n’aurions plus à compter sur les sympathies anglaises et sur l’appui anglais, car on verrait dans la conduite de l’Autriche des signes manifestes de mauvaise volonté. Quelques heures plus tard, Lichnowsky insiste encore dans un nouveau télégramme. Ces avertissements de l’ambassadeur arrivent à Berlin, au moment où le cabinet de Londres vient de décider de ne pas disperser la grande flotte. Ils donnent un instant à réfléchir au gouvernement impérial et, dans la soirée, à 23 h. 50, le chancelier envoie des instructions nouvelles à Tschirschky, son ambassadeur à Vienne : Si nous refusions toute action médiatrice, nous serions regardés par le monde entier comme responsables de la conflagration et représentés comme les véritables fauteurs de la guerre. Cela rendrait également notre situation impossible dans le pays, où nous devons apparaître comme étant ceux qui ont été contraints à la guerre. En conclusion, le chancelier demande à connaître l’opinion du comte Berchtold et aussitôt il se flatte auprès de Lichnowsky d’avoir immédiatement entamé une action médiatrice à Vienne dans le sens désiré par sir Ed. Grey.

Mais, comme l’a remarqué M. Sazonoff, « la principale occupation de M. de Bethmann-Hollweg était alors, non de sauver la paix, mais de présenter les événements sous un jour qui pût faire croire que l’Allemagne avait été contrainte à la guerre ».

Ce n’est donc qu’une couverture que cherche à se procurer le chance-