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Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/101

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cette justice que j’avais diagnostiqué le mal dix ans avant le dénouement fatal.

Il ne prévoyait guère sa fin tragique, quand il descendit de son cabriolet antique et boueux dans la cour de la ferme de Perrelaye.

— Comment ça va-t-il, mon bon Joseph ? dit Beauvoisin.

— Mais pas mal, vraiment pas mal.

Les invités arrivaient en foule. D’abord, le fiancé Perrot et sa famille.

— V’là lé brument ? s’écria la bossue.

Le brument, la brument, c’est ainsi qu’on désigne en Normandie les futurs conjoints.

Les carrioles d’ailleurs envahissaient la cour de la ferme.

C’étaient les Drouet de Bare, Bourdais, Coureau de Braye, Legay de Vétigny, Ricard de la Vacherie, Duehemin, Thibout, Verson du Tilleul-Othon, Lambert de Goupillères, Lorillon de Gouttière, le père Giraud du Val-Gallerand, Dessault de Grosley, Roussel de Conché.

Quelques amis de marque survinrent au dernier moment.

Le docteur Boulard, dans son cabriolet, vieux véhicule, attaqué sérieusement par le temps, les ornières et les cailloux des routes.

Le rentier Muratel, un vieil ami de Beauvoisin, venu pedibus cum jambis. — Oui, mon bon, pedibus cum jambis, disait-il au fermier. À mon âge, il faut combattre par l’exercice les tendances à l’apoplexie. J’aurais pu monter dans le cabriolet du docteur ; mais non, j’ai refusé, pour suivre à la lettre ses prescriptions. On digère et vit avec ses jambes, m’a-t-il maintes fois répété. Aussi, me voilà, de même que je m’en irai pedibus cum jambis.

— Parfaitement, pedibus cum jambis, répéta docilement Beauvoisin, peu remarquable comme latiniste, et vous êtes le bienvenu tout de même.

Le dernier survenant fut le bijoutier Trouillard, retenu jusqu’à la dernière minute par les nécessités de son commerce.

— Vive la Libre-Pensée ! s’écria Beauvoisin. Vous êtes bien aimable de ne point nous avoir fait faux-bond.

— Je tiens toujours ma parole, répliqua-t-il dignement.