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Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/118

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les filles Ricard de la Vacherie, deux demoiselles élevées dans un pensionnat de Bernay, tandis que Beaugoujat se livrait à une chorégraphie savante avec la riche madame Coureau de Braye, dont il convoitait la descendance féminine, une charmante personne d’un peu plus de quinze ans — quinze printemps, constatait poétiquement Baratou.

Mais le bon greffier en était, lui aussi, à son quinzième amour, amour destiné encore au malheur d’un échec, défaite prévue pour la même raison que les autres, raison charnue et postérieure, disait Joseph Soutardier.

— Que c’en serait indécent si c’était une femme ! ajoutait son frère Jean.

Muratel lui-même, Muratel, le digne et calme rentier de Beaumont-le-Roger, dansait gravement toutefois et avec grand art une scottish, accompagnant madame Beauvoisin, qui essayait de suivre son partenaire méthodique.

Quand les jeunes mariés eurent pris la fuite, le bal s’anima encore davantage. Les Soutardier, après avoir dirigé le fameux quadrille des lanciers, organisèrent des galops splendides pendant lesquels les pieds des danseurs faisaient résonner les planches posées sur le sol de la grange, et dont les joints un peu larges causèrent quelques accidents, notamment la chute du poète Beaugoujat dont le nez perça un trou dans la robe de mousseline d’une des demoiselles Ricard.

Jean Soutardier le releva vivement en lui appliquant un coup de pied formidable en cette région magnifique que masquaient très incomplètement les pans d’un habit d’ailleurs trop court.

Mais l’aurore rose pointait timidement sur l’horizon.

Les musiciens, gorgés de cidre et d’eau-de-vie, commençaient à ronfler.

Seule, la petite flûte continuait son vacarme. Elle était animée par un grand maigre infatigable dont l’alcool augmentait le souffle.

Le chef de musique, très somnolent, affalé sur une chaise, sise au centre de son orchestre improvisé, continuait à battre, avec son bras, la mesure par habitude.

Alors la petite flûte sonna la retraite, une retraite plain-