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Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/129

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Mais le marquis ne se le posait pas. Il disait au régisseur :

— Baptiste, combien la forêt rapportera-t-elle cette année ?

Et aux gardes :

— Veillez le gibier ; je compte faire de belles chasses à courre et au fusil.

Pour un homme qui aurait raisonné, il y avait vraiment de quoi perdre la tête.

Mais Billoin ne raisonnait pas ; ancien sous-officier du second empire il ne se permettait pas, même dans la vie civile, de discuter une consigne.

Le marquis commandait :

— Billoin, veillez au gibier…

Il veillait au gibier.

— Billoin, arrêtez les braconniers.

Il s’efforçait d’en arrêter, même si l’exécution de l’ordre lui semblait impossible. À cette ponctualité toute militaire s’ajoutait un peu d’amour-propre froissé. Giraud fils avait décidément fait un pas de clerc, en fusillant à son nez un cerf chassé par le marquis. La jeunesse est toujours la jeunesse, disait le roi des braconniers pour excuser son fieu.

Le marquis, lui, ne supposait pas que des ordres donnés dans un accès de colère pouvaient avoir des conséquences aussi fâcheuses et occasionner mort d’hommes. Au bout de deux journées, il n’y songeait même plus.

Seulement il s’acharnait après Billoin, comme les chefs militaires s’acharnent souvent après les meilleurs soldats auxquels ils préfèrent les débrouillards, suivant l’expression consacrée dans l’armée. Il se payait sa tête toutes les semaines.

— Eh bien, Billoin, ces braconniers ?

Et puis, comme il ne recevait pas de réponse, il haussait les épaules et s’en allait en riant aux éclats.

Or, cela vexait terriblement le garde qui veillait, veillait toujours, s’exténuant en des rondes de nuit interminables, l’oreille toujours attentive, tressaillant au moindre bruit, attendant le coup de feu révélateur, tandis que le vent agitait mollement ou furieusement les feuilles des arbres à la clarté des