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Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/189

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— Voyons puisque je t’explique qu’il n’y a pas de danger. Le père le sait bien.

— Sans doute, gâs, mais ta femme a raison.

Il disait cela sur un ton peu convaincu, désireux lui-même d’aller faire un coup de fusil.

Et son fils lisait dans sa pensée :

— Voyons p’pa, si t’étais tout seul, est-ce que tu n’irais pas ? C’était l’habitude et ça l’est eneore. Je suis sûr que Lorillon et Lanfuiné sont déjà partis.

— Je ne dis pas, gâs. À mon âge on ne risque somme toute qu’une vieille peau.

— Alors, partons.

— Non tu ne partiras pas, s’écria la bossue.

— Voyons, Estelle, ma petite Estelle, tu ne peux pas me refuser ce plaisir là. Ça ne m’arrive pas tous les jours. Est-ce que j’ai bougé depuis un mois ? Est-ce que je n’ai pas travaillé tout mon chien de saoul ? Est-ce que je ne mérite pas une récompense ?

Et puis je te le dis encore, il n’y a aucun danger. Tu le sais aussi bien que moi. Tiens je te jure que je n’y repenserai plus demain. Je reprendrai mon travail sans dégoût, sans tristesse et je continuerai jusqu’à l’autre Noël.

— Allons, ma fille, dit le roi des braconniers, donne-lui ce consentement, puisqu’il te jure qu’il reprendra son travail demain.

Les deux hommes n’attendirent point sa réponse :

Ils décrochèrent deux fusils suspendus à des cornes de cerf au-dessous de l’âtre, sortirent dans la cour et le bruit de leurs pas qui faisaient sonner la terre durcie par la gelée devint, de moins en moins distinct et cessa tout à fait.

— Hé ! gâs, dit le père Giraud, t’es content hein ? La culture ça ne vaut pas notre métier. Mais, vrai, Estelle a raison ; y a trop d’animosité entre Billoin et toi. Et puis t’es aussi trop nerveux pour un braconnier. T’y mets de l’amour-propre. Faut pas de ça. Tiens, moi, je suis calme comme une vieille souche qui pourrit dans une vente de bois. Quand je rencontre Billoin, Bizais ou Loriot, je m’arrête avant qu’ils ne me voient ; je me dis que j’ai marché sur une mauvaise herbe ce jour-là et je rentre. Toi, gâs, tu te