Aller au contenu

Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’ouvrit brusquement et Billoin apparut son fusil à la main.

— Zut, fit-il, je ferais aussi bien de rentrer puisque le marquis ne veut pas qu’on…

Il n’eut pas le temps d’achever : une détonation retentit et le garde, atteint en pleine poitrine, tomba lourdement à la renverse.

Alors la bossue sortit de sa cachette, s’approcha de l’homme qui râlait encore et lui déchargea le second coup dans la région du cœur.

— Cochon ! dit-elle, t’as ton compte cette fois.

Puis elle s’en alla clopin-clopant, un trot singulier qui avançait tout de même.

Quelques instants après elle rentrait dans sa maison, prenait un bâton auquel elle accrocha un chiffon et se mit à nettoyer les canons ; puis elle versa dedans de l’eau, passa un linge mouillé ensuite et remit l’arme à sa place.

— Demain ça sera rouillé ; ce sera bien le diable s’ils s’aperçoivent qu’on a tiré ce soir avec ce fusil-là, dans le cas où les gendarmes en auraient l’idée.

Il pouvait être deux heures du matin. Le temps pressait, car on se levait de bonne heure à la ferme, à cinq heures environ.

Pour s’en retourner elle reprit le même chemin, qu’elle parcourut marchant et courant de ce trot bâtard que lui imposait sa jambe trop courte.

À trois heures et demie, tout en sueur, elle pénétrait dans sa chambre, signalée par le chien qui ne l’ayant pas reconnue s’était mis à aboyer avec fureur.

Elle avait eu un moment de frayeur ; si quelqu’un allait s’éveiller et la surprendre. Mais les travailleurs des champs ont le sommeil lourd, et elle en fut quitte pour la peur.

Ses vêtements étaient trempés et pleins de boue.

Elle s’assura que sa porte était bien fermée, les volets bien clos ; alors elle alluma un grand feu dans la cheminée, les fit sécher complètement et les brossa ensuite soigneusement.

Quand elle eut fini le jour commençait à poindre ; les hommes dans les écuries donnaient la pâture aux chevaux et les coqs chantaient. Le dernier tison achevait de se consumer dans l’âtre.